30 août 2006

Serge Gainsbourg au passé composé


Hélène Martin – Ronsard 58 (MP3)
Valérie Lagrange - La guérilla (MP3)
Bijou – Betty Jane Rose (MP3)

"Bon, je suis mort. Je fais un bilan."
Début du faux entretien posthume entre Serge Gainsbourg
et Bayon, publié le 4 mars 1991 dans Libération.

Tous les matins, je prend le métro une demi-heure, sous le sommeil exactement. Pour tuer l’ennui, j’ai dans ma veste mon iPod 60 Go pourvu de nombreuses compilations : Back to mono de Phil Spector ou le récent Children of nuggets. Ou, pour rester dans les nouveautés, Mister Melody, de Gainsbourg, sorti en début d'année pour célébrer les quinze ans de la mort du chanteur, le 2 mars 1991, et compilant des morceaux composés par lui pour d'autres artistes. Une caverne aux quatre-seize merveilles et aux deux codas posthumes (un très dispensable duo entre Lulu et Bambou et le bien plus intéressant Boomerang de Daho/Dani). Le tout réparti sur quatre disques suivant plus ou moins l'évolution de la carrière de l'homme à tête de chou, d'inédits offerts en reprises prêtées, souvent étonnantes (Le poinçonneur des lilas par Les Frères Jacques, qui ouvre l'ensemble) ou magnifiques (L'anamour par Françoise Hardy).

Ca commence fin années 50. Celles ou, accroché au pont des Arts, Gainsbourg fit son trou, son grand trou, en bon name-dropper de poètes et autres artistes (Baudelaire, Ronsard, Prévert, le compositeur Franz Lehar) ou médecin légiste cynique des affaires du coeur ("Putain des trottoirs, putain des palaces/Pour les mecs dans l'fond c'est le même tabac/On lui paye son prix, on s'en débarrasse/Faut qu'elle fasse l'amour, et pas d'embarras", sur Ronsard 58, titre de l'album Du chant à la une repris par Hélène Martin).

Les deux disques suivants chroniquent pour l'essentiel ce tournant des années 60 où le beau Serge laissa tomber le jazz dans le ravin pour la pop qui fait shebam pow blop wizz. Gainsbourg confidentiel ? Moins que jamais : Gainsbourg consacré, eurovisé comme un vulgaire Lordi et inlassable pourvoyeur de sucettes pop pour France Gall (dont Laisse tomber les filles, récemment consacré par Pitchfork parmi les 200 meilleurs singles des sixties, et dont l'intro a un lointain air de parenté avec le Peter Gunn de Henry Mancini, récemment repris sur Juicebox des Strokes). Ca vous a plu, vous en voulez encore ? Gainsbourg soumis au Bardot culte, compositeur de luxe pour stars respectables (ne pas rater les hilarants Je préfère naturellement de Dalida ou Hip hip hip hurrah de Claude François, qui commence par un politiquement incorrect "Je pratique la politique de la femme brûlée"). Gainsbourg semeur de pavot sur pavés à venir pour hippies en devenir, comme sur l'excellent La Guérilla, inspiré de la musique sud-américaine et chanté en 1966 par Valérie Lagrange... qui incarna d'ailleurs à la même époque une guerillera du Front de Libération de Seine-et-Oise (!!) dans Week-end de Godard.

Après ça, forcément, le dernier disque du coffret joue l'air de l'apogée puis de la chute, chansons rongées par le temps comme l'acide. Fin des années 60, début des années 70 : textes et musique s'épurent, les réussites les plus bouleversantes fleurissent (Comment te dire adieu ? - ici dans une curieuse version TV allemande - ou Ballade de Johnny Jane). Début années 80 : les musiques deviennent lourdes, les textes aussi peu inspirés que les interprètes, Adjani ou Deneuve, qui ne manifestent pas le même talent qu'au cinéma. Heureusement, deux OVNIS marquent cette époque : J’envisage, rude complainte new-wave extraite de Play Blessures, album composé pour Bashung, et Betty Jane Rose, gemme punk-song vitaminée taillée sur mesure pour Bijou en 1978. Comme Bowie, à qui on le compare souvent (à raison), Gainsbourg avait donc aussi apporté son pavé au chaos punk. "Mâle au féminin/Légèrement fêlé/Un peu trop félin/Tu sais que tu es/Beau, oui, comme Bowie" : cette chanson composée pour Adjani est absente du coffret (heureusement), mais résume bien le personnage Gainsbourg, qui disait avoir placé son univers musical "dans une sphère de luxe et de névrose".

28 août 2006

A St-Cloud, têtes à claques et Radiohead

Chez Interprétations diverses, on aime les domaines réservés. A Vincent, natif de l’Est, les compte-rendus 2005 et 2006 des Eurockéennes de Belfort. A moi, Breton donc un peu Parisien (ou l’inverse) ceux du festival Rock en Seine - cette année, le samedi seulement, boulot oblige.



A peine arrivé, me voilà obligé de faire le tour entier du site pour pouvoir y entrer sous bonne averse - heureusement, la première et la dernière de la journée. Résultat, je rate une bonne moitié du concert de Broken Social Scene. Juste le temps de vérifier que nos amis Canadiens sont toujours aussi cool (on les apercevra, pendant le concert de Beck, tout contents au fond de la scène - sûrement un espace very VIP), que les compos tiennent aussi bien la route qu’à Tourcoing il y a six mois, mais que le son d’un concert en pleine air n’est pas vraiment fait pour eux. J’enchaîne sur la grande scène avec Taking Back Sunday qui ramène bien le soleil mais dont le punk-pop-metal-hard affreux s’est manifestement trompé de jour, de son, de tout.

Autant donc siroter une bière en attendant le concert de Phoenix (Groovy baby !, comme dirait Austin Powers). Il m'a fallu attendre leur troisième album pour enfin accrocher vraiment à un de leurs morceaux (Consolation prizes). Sur scène, il me plaît toujours mais le reste m’ennuie (à part peut-être Run run run), la voix et la production m’indiffèrent.

Sentiment identique pour les Dead 60s dont le premier album était rentré par mon oreille gauche pour ressortir aussitôt par la droite. Impression confirmée sur scène: un mélange de Combat rock (le pire album du Clash), de sous-Specials (pour les grandes coulées d’orgues, sauf que n’écrit pas Ghost town ou Rat race qui veut...) et du premier disque de The Coral, en beaucoup moins bien. Bref, du ska-rock bien primaire, et parfois assez efficace, parfait pour les NME Awards, même si, par rapport à ces congénères anglais ultrasapés, le groupe a un no-look assez scandaleux. Pour tout dire, avec son polo noir et son crâne rasé, le chanteur essaye peut-être de ressembler à Mike Skinner, mais on l’imagine surtout braillant dans le kop de West Bromwich Albion ou Milwall. Et comme le foot anglais, sans conteste le plus laid d’Europe, s’exporte assez mal…

Viennent ensuite les Rakes, de l’autre côté du parc. Sur disque, malgré mes sarcasmes, ces gars-là ont quand même quelques singles racés assez irrésistibles. Ici, c’est tout simplement épouvantable, son ignoble et chant à l’avenant. Le temps de les voir massacrer Open book (vous savez, la pub Orange... d'ailleurs le chanteur clame avant "Sorry for your football team", ou quelque chose d'approchant) et Work, work work (pub, club, sleep), je retourne me placer pour Beck.

Soit avant Radiohead, mon premier grand test de la journée. Il y a quelques années, j’aimais bien Beck, mais depuis, ses disques (à part Mutations) m’ont régulièrement déçu. Pour tout dire, il est devenu le Johnny Depp du rock : il est beau, cool, sort avec des actrices, tout le monde l’aime bien, mais il fait souvent n’importe quoi. Là, lunettes noires et tignasse blonde à la Kurt Cobain, il commence par du hip-funk carré et assez plaisant, puis se souvient qu’à un moment il était considéré comme un espoir folk et enchaîne sans grande conviction ni flamme deux-trois pépites (He’s a mighty good leader, Lost cause). Comme il a vu Gorillaz, il sait maintenant qu’il faut proposer un « spectacle » multimédia, et on a donc droit à des images de synthèse de marionnettes sur les écrans géants, et à un rappel où Beck vient chanter déguisé… en ours. Avis à la population : maintenant, il peut assurer des goûters d’enfants. Un concert pas désagréable, mais qui donne la curieuse impression que Beck (s’)est un peu perdu, tiraillé entre trois ou quatre chaises (folk cool, folk larmoyant, groove, hip-hop) sans vraiment savoir où il en est.

Je pourrais ensuite tenter le triplé maléfique du revival 80s avec Editors, mais non merci. Comme beaucoup de gens (les fans sont là, ça se sent), je reste dans le coin pour attendre Radiohead, pendant que des dessins du toujours excellent Luz (le rock critic français le plus drôle, incontestablement) défilent sur l'écran. J’attends avec impatience les Oxfordiens, dont j’ai usé les disques jusqu’à l'os avant de ne plus vraiment les écouter, et je ne vais pas être déçu, pendant deux heures et une vingtaine de morceaux couvrant toute la carrière du groupe (Pablo Honey excepté). Si, avec le temps, leurs pop-songs pour briquets (Fake Plastic Trees ou Karma Police, auquel on n’échappera pas en rappel) m’ennuient un peu, leurs morceaux les plus bruyants (2+2=5 par exemple) sont parfaits, et le concert atteint des sommets sur les compos paranoïaques et terrorisantes de Kid A (The National Anthem, Idioteque, Morning Bell) ou, loin d'un groupe de "rock progressif" (Libé d'aujourd'hui), Radiohead sonne comme le Suicide des années 2000. En fait, voilà peut-être la définition d’un bon concert : celui qui donne envie de réécouter le disque le plus exigeant d’un groupe...

24 août 2006

Broken Social Scene, chaos debout

Le festival Rock en Seine accueille samedi Broken Social Scene, un des chouchous d'Interprétations diverses. Petite bande-annonce, élaborée après un concert grandiose au Grand Mix de Tourcoing, le 21 février dernier, et jamais publiée. Ce que, dans le jargon rock, on appelle une chute de studio...


Broken Social Scene en concert à Dublin (février 2005).

Broken Social Scene - KC Accidental (MP3)

"N'est-il pas génial que Broken Social Scene commence enfin à donner des concerts avec plus de gens dans la salle que sur scène ?". La blague est de Pitchfork, et elle traduit bien le changement de statut de Broken Social Scene, devenu un des "grands espoirs" indie susceptible de remplir des salles, peut-être en partie grâce à la vogue du rock canadien, de Arcade Fire à Wolf Parade. Une ascension qui n'empêche pas le groupe de rester modeste, cool, décontracté. Le genre étudiants attardés, barbes et cheveux longs, tournant autant à l'eau qu'à la bière. Et quand Kevin Drew, le chanteur, réclame une cigarette, c'est sur scène "pour fumer en faisant semblant d'être en boîte de nuit".

La scène, justement. La musique y est aussi tendue que le groupe est cool. Elle fonctionne par déflagrations bruitistes formant un geyser sonore, peut-être celui dont parlent les paroles du morceau Ibi Dreams Of Pavement, single extrait du dernier album. Une chanson aux paroles pessimistes ("I was shot in the back/And you weren't there") plutôt démenties par l'harmonie régnant au sein du groupe.

Groupe, ou plutôt collectif à géométrie variable (jusqu'à vingt membres) relié à de nombreux side projects - les plus connus étant Metric et Feist. A Tourcoing, ce soir-là, c'est le guitariste Andrew Whiteman qui ouvre le bal sous le nom d'Apostle Of Hustle, dédiant la dernière chanson de son set « à ceux qui n’aiment pas le rock indépendant » avant de rejoindre ses camarades sur scène. Pas de disposition hiéarchique classique en vue : au lieu de rester au milieu de la scène, Kevin Drew se tient sur la droite, et tous les regards convergent au centre sur un micro vide ou un des instruments auxiliaires, le violon, par exemple, venu cueillir son quart d'heure de gloire. Un vrai jeu des chaises musicales, où de nouveaux instruments (des maracas, une trompette, un saxophone, une deuxième batterie) apparaissent régulièrement dans le maelström sonore.

Parfois, les neuf musiciens font simplement la claque avec leurs mains, ou demandent au public de scander le traditionnel « un, deux, trois, quatre ! ». Ou se concentrent sur leur musique, restant penchés sur leur instrument comme un ensemble qui élaborerait une symphonie, la violoniste Julie Penner brandissant son archet en l’air à l'instar d'un chef orchestre philharmonique. Au bout de deux heures de concert, Kevin Drew profite d’un break dans la dernière chanson pour descendre dans la foule et donner l’accolade à quelques spectateurs dans les premiers rangs, comme pour les bénir. Ite missa est. Concert sans rappel et sans appel.

(En bonus, KC Accidental, extrait de l'album Feel Good Lost, et un passage du groupe chez David Letterman).

23 août 2006

Souviens-toi l'été dernier

En attendant la rentrée rock (pour situer : un peu comme la rentrée littéraire, les milliers d'arbres morts en moins, la tendance catalogue de mode - "retour du rock", "néo-folk baba" - en plus), retour sur quelques-unes des découvertes de mon été rock.


Liz Phair - 6'1'' (MP3)
The Woodentops - Good Thing (MP3)
Phil Seymour - We Don't Get Along (MP3)

Galanterie oblige, je commence par le Exile In Guyville de Liz Phair. Misogynie oblige, j'avoue que je ne suis généralement pas trop client des disques solo de "rock féminin" (Patti, PJ, toutes mes excuses). D'où la gifle cinglante que m'a infligé Liz et son disque réussi de bout en bout. Titre oblige, il est souvent présenté comme une réponse féminine au Exile on main street des Stones : je ne sais pas si la comparaison est totalement pertinente (pas de trace de country ni d'héroïne ici...), mais le premier morceau, 6'1'', et son texte acide, est porté par un riff aussi brut et entêtant que le sublime premier morceau d'Exile on main street, Rocks Off.

A l'époque de ce premier album, Liz Phair faisait partie des chouchous de la presse française, tout comme The Woodentops sept ans avant, au moment de la sortie de Giant. Pour situer le niveau de branchitude du groupe à l'époque, il apparaît même dans Désordre, le premier film d'Olivier Assayas (en remplacement des Jesus & Mary Chain, initialement envisagés). Vingt ans après, ce disque oublié de l'âge d'or indie s'écoute plutôt bien, comme du folk-rock à la Feelies (période The Good Earth) adouci à l'aspartame (les petites touches de production années 80).

Nouveau bon un septennat en arrière pour finir, avec le premier album solo de Phil Seymour, récemment réédité. Comme pour tous les grands disques de power-pop de l'époque (The Nerves, The Beat...), les compos sont efficaces, pop et sublimes, le texte direct et sensible (ça parle de filles, quelle surprise). Et un voile de mélancolie plane sur l'ensemble, pas tant parce que Phil Seymour est mort jeune d'un cancer que parce que le genre lorgne toujours avec nostalgie et regret sur les années 1954-1966, celles du paradis perdu. La power-pop, c'est l'été indien du rock.

22 août 2006

Devoir de vacances : Diam's

Pendant que d'autres font des châteaux de sable, on révise nos fondamentaux en bossant notre littérature française. Sujet du jour : "Dans un commentaire composé, étudiez la chanson Jeune Demoiselle de Diam's et expliquez en quoi elle colle aux idéaux de la société française du début du XXIème siècle".


Diam’s - Jeune Demoiselle (MP3)

L'été fut américain. À côté du coup de boule et de ses dérivés, le tube s'est recruté outre-atlantique : Nelly Furtado, Justin Timberlake, Pharell… Face à cette déferlante de hip-hop et de football, Diam's fut la seule à défendre la politique des auteurs à la française. Après le gros tube La Boulette, la rappeuse balançait dans l'arène le titre ultime des boîtes de province, Jeune Demoiselle. Dans une première partie, je montrerai comment la chanson marque l'avènement de la drague numérique. Ensuite, je m'attacherai à souligner la vision conservatrice d'une Diams "ségolènisée". Enfin, je mettrai en lumière les présupposés libéraux que sous-tend Jeune Demoiselle.

Après s'être visiblement séparé du « mec » de la chanson DJ avec qui elle voulait « kiffer [sa] vibe », Diam's dragouille sur le web. Sans complexe : « J't'ai pas trouvé sur la planète / J'te trouverais peut-être sur Internet, qui sait ? ». Ce nouveau mode de séduction change profondément les codes. On n'offre plus des roses, on ne laisse plus une petite annonce dans les Transports amoureux de Libération, on laisse simplement son e-mail : « Jeune demoiselle recherche un mec mortel [...] Si t'as les critères, babe, laisse moi ton e-mail ». L'e-mail est un élément capital de la chanson de Diam's. Ainsi la rappeuse aurait aisément pu le remplacer par le vocable « phone-tél » qui offrait une rime plus efficace : « Jeune demoiselle recherche un mec mortel [...] Si t'as les critères, babe, laisse moi ton phone-tél». Mais Diam's préfère insister sur l'e-mail. A l'image de sa génération, elle refuse le contact humain direct et préfère jauger les qualités du possible partenaire par le biais d'une liaison épistolaire fondée sur la preuve par l'image : « PS : l'adresse, c'est jeunedemoisellerecherche(a)hotmail.fr / Si vous pouvez joindre 2 photos / Parce qu'on sait qu'une c'est de la triche ».

Représentante officielle des « djeun's », Diam's est néanmoins conservatrice dans ses idéaux. Malgré la profusion de l'Internet et la drague au kilomètre offerte par Meetic, Diam's croit à l'amour dans sa version la plus pure, celle de Belle du Seigneur d'Albert Cohen : «Dans mes rêves, mon mec m'enlève et m'emmène ». L'e-mail est curieusement remplacé par un cheval et un beau destrier. La rappeuse ne cherche pas un mec pour se payer une baise aux chiottes, mais plutôt pour kiffer sa vibe paisiblement : « Jeune demoiselle recherche un mec mortel […] Un mec fidèle et qui n'a pas peur qu'on l'aime ». On perçoit ici la peur du changement et de l'incident. La vie doit suivre son cours paisiblement, régie par des principes simples et moraux : « Mon mec a des valeurs et du respect pour ses sœurs », « Mon mec est clean ». Sa philosophie se rapproche de celle de Ségolène Royal pour qui elle a d'ailleurs plus ou moins annoncé son soutien. Diam's, comme la présidentiable poitevine, voit la famille comme un pilier fondamental. À l'opposé de la pensée de mai 68. Assez proche des idéaux (supposés) de mars 2006 : travail, famille, CDI.

On reproche à Ségolène Royal d'être blairiste. On pourrait faire le même procès libéral à Diam's. Si on analyse les paroles de la chanteuse, Meetic ressemble à un supermarché de l'amour, où l'on vient faire ses emplettes avec une longue liste de courses : « [Mon mec] a du charme et du style à la Beckham / Il a la classe et le feeling tout droit sorti d'un film / Le charisme de Jay-Z et le sourire de Brad Pitt ». Ce mec fantasmé est invité à laisser son e-mail. Diam's transforme la drague en une sorte de recherche avancée comme on peut en trouver sur Google ou Voyages-sncf.com. Le principe n'est plus « fonce, c'est un beau gosse » mais « fonce, il correspond à une quinzaine de tes 20 critères ». Diam's le dit elle-même : « Si t'as les critères, babe, laisse-moi ton e-mail ». L'incertitude de l'amour est supplantée par la stricte vérité de la statistique. Comme un conseil d'administration d'une multinationale, Diam's voit à court terme et veut des résultats tout de suite, des éléments mesurables objectivement du genre « Mon mec me parle tout bas ». On imagine que la rappeuse, ayant trouvé son « mec mortel », ne laissera pas passer la moindre perte de valeur, le moindre haussement de voix. Et comme dans toute entreprise, la chute du cours en bourse annonce souvent des licenciements…

En conclusion, Jeune Demoiselle ressemble à un manifeste de Ségolène Royal. Pas de prise de position polémique sur le Liban mais une vision de l'amour qui colle à l'air du temps, entre tout-numérique, conservatisme et libéralisme. Un discours a priori consensuel mais pas exempt de considérations idéologiques. Jeune Demoiselle est donc un tube idéal, musicalement irréprochable et idéologiquement précurseur. Sauf si Sarkozy l'emporte en 2007.

19 août 2006

Vacance du blog

Comme vous pouvez le voir, Interprétations Diverses est un peu en vacances. C'est pas que nous soyons parti au soleil, bien au contraire, puisque nous sommes en CDD (soit l'inverse absolu).

Au-delà de la paresse estivale, le blog tourne au ralenti pour divers problèmes techniques qu'on peut notamment imputer à l'entreprise Free et à sa fâcheuse habitude de livrer les Freebox avec deux mois de retard...

Allez à plus tard pour un vrai retour du blog. Dans une semaine, j'espère...

07 août 2006

It's Love that finally counts (in the long run)


Love – Wonder People (I Do Wonder) (MP3)
The Pale Fountains – Palm Of My Hand [Live BBC, 22 avril 1983] (MP3)
The Boo Radleys – Alone Again Or (MP3)

Il y a quarante ans, Arthur Lee chantait She comes in colors. Jeudi, son arc-en-ciel s’est définitivement arrêté sur le noir. Une couleur qui va finir, après la mort de Syd Barrett le mois dernier, par encadrer d’un liseré funèbre l’année 2006 dans les anthologies du rock.

Barrett, Lee : deux photos un peu jaunies, deux musiciens qu’ont pensait embaumés dans le LSD depuis 1967, même si Arthur Lee avait fait quelques réapparitions sur scène ces derniers temps. 1967, tout de même l’année d’une des plus fructueuses récoltes de l’histoire du rock. En pleine époque Mao, cent fleurs s’épanouissent : Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, Between The Buttons, Something Else (bouquets multicolores), Goodbye & Hello, Younger Than Yesterday (bourgeons folk-pop), The Velvet Underground & Nico, Are You Experienced ? (fleurs du pavé), la liste semble inépuisable…

Sur la photo de famille, Forever Changes fit lui longtemps figure de cousin caché, oublié jusqu’à une opportune réédition, en 2001, qui ajouta notamment un inédit somptueux, Wonder people (I do wonder). Il faut dire que le petit cousin venait de l’étranger : là ou les grands disques du cru 67 piochaient généralement dans le folkore élisabéthain ou inventaient un son américain urbain et cru, Love regardait au sud de Los Angeles, faisait sonner les violons d’un enterrement mexicain et débouchait les trompettes. Celles de la renommée étant elles bien mal embouchées, le groupe allait assez vite sombrer dans l’oubli du public, peu habitué à l’ambiguïté et aux contradictions : une pop gracieuse exécutée par des musiciens un peu rugueux (sur les photos de presse récentes, Arthur Lee arborait souvent blouson de cuir et longue tignasse frisée) ; un disque du flower power californien déjà fané et obsédé par la mort (comme Dylan à l’époque de All along the watchtower, Lee dira avoir tout mis dans Forever changes, au cas où ce disque serait son testament musical). Bref, Forever changes était en fait un disque assez contradictoire avec son époque, à l’image des deux mots opposés de son titre.

Les années 70, fardées, molles, puis punk, n’allaient pas lui rendre justice. Les controversées années 83-93, réputées pour être le paradis des claviers baveux puis des guitares grunge, allaient s’en charger, histoire de donner enfin une suite à Forever changes, chef-d’œuvre d’un groupe reconnu pour un seul disque. Mais l’été californien allait essentiellement - et paradoxalement - revenir par des groupes de la peu riante ville de Liverpool (même si Belle & Sebastian, via son merveilleux premier single Dog on wheels, allait aussi apporter son obole), désireux d’explorer eux aussi les grands espaces découverts par Love.

Les Pale Fountains revendaient ainsi leurs synthés pour acheter des trompettes (Palm of my hand, extrait de la compilation Longshot for your love), avant d'être suivis par les Boo Radleys, qui entouraient le merveilleux Alone again or (composé, il faut le rappeler, non pas par Arthur Lee, mais par son comparse Bryan McLean, et maintes fois repris, de Calexico aux Damned) d’une triple clôture de barbelé acéré sur la compilation Learning to walk. Deux ans plus tard, les Boo Radleys sortaient leur disque le plus « lovien », le Forever changes des années 90, Giant steps. "Giant steps", comme les ailes de géants qui empêchèrent ces trois grands groupes aux pieds d’argile, tous séparés trop tôt, de marcher. Ou "giant" comme le fait de voir les choses en grand, le rock en Cinémascope. Comme beaucoup de rock stars, Arthur Lee avait un talent certain pour les phrases définitives et il en avait lâché une un jour aux Inrockuptibles, comme une épitaphe anticipée : « Je n’ai pas joué dans le plus grand groupe de tous les temps, mais sûrement dans le groupe au plus beau nom de tous les temps. »

02 août 2006

Mémoires sauvés du Van



Van Morrison - Give Me A Kiss (MP3)
Van Morrison - (Straight To Your Heart) Like A Cannonball (MP3)
Van Morrison - Gypsy (MP3)

"We move along/Keep singing our song/Straight to your heart/Like a cannonball". Des chansons de Van Morrison qui se fichent comme une flèche en plein cœur dès la première écoute, ça existe, ça ? Pour qui est entré, comme moi, en Morrisonerie avec Astral weeks (1968), la révélation est surprenante. Astral weeks fait partie de ces chefs-d’œuvre toujours chéris des classements, mais parfois terriblement frustrants. Un peu comme Blonde on blonde (double, flou, brouillé) ou même Five leaves left (pur, trop pur). Comme Nick Drake ou Dylan, Van Morrison ne réussira d'ailleurs qu'après son grand oeuvre à faire des albums mineurs. Or, si la chanson est un genre mineur (c'est ce que pensait Gainsbourg), que constituent des albums mineurs dans un genre mineur ? Peut-être, paradoxalement, des oeuvres majeures, qui ont ce que les chefs-d'oeuvres n'ont pas, de la vulgarité, de la décontraction...

Cette opposition majeur/mineur traverse toute l’œuvre de Van Morrison dans la première moitié des années soixante-dix. On y trouve deux disques « astralweekiens », Moondance (1970) et Veedon Fleece (1974), où sa voix fait des prodiges. Et, entre les deux, trois disques buissonniers, dont les pochettes annoncent la couleur – plutôt vive. Regardez Tupelo honey (1971) et son sous-bois idéal pour prendre le frais. Ou Saint Dominic's Preview : le Van assis sur des marches, devant une porte bleue (celle d’une église ?), baladin semblant prêt à tous nous accorder sa bénédiction. Bien sûr, l’Irlandais est trop retors pour que le petit truc des pochettes marche à chaque coup : la pochette hautement symbolique de His band & the street choir annonce un album très introspectif (faux) et celle de Veedon Fleece, à mi-chemin de Harrison (la couverture de All things must pass) et de McCartney (les chiens), semble presque nous promettre un disque à la Beatles (encore plus faux).

Il reste alors les chansons. Et plus précisément leur structure. Sur Astral weeks, il fallait absolument se laisser porter par le courant, dériver le long des guitares, couler sur la voix du barde le long de ses complaintes déstructurées. Sur les trois grands disques mineurs des 70s, c’est l’inverse : des chansons de trois minutes se laissent porter par les structures traditionnelles, se laissent gagner par le bon vieux couplet/refrain/couplet. Un choc, que Van Morrison ne se prive pas de souligner. On l'entend fredonner « tututututut » pendant quinze secondes, soutenu par des trompettes et des choeurs presque Beach Boys (Give me a kiss). Puis «toulouloulouloulou» ((Straight to your heart) Like a cannonball) et même «lalalalalalalaï» (Gypsy). Paradoxalement, après avoir emmené la voix aux confins du langage articulé, Van Morrison la fait régresser bien au-delà ; après des disques bien au-delà du rock, revient à cette musique primale, brute. De celle qu’on écoute sans avoir besoin d’y accorder toute son attention, par exemple en conduisant sous un pâle soleil sur la route entre Cill Mhaighneann et Carraig Uí Leighin.