31 mai 2007

La jeunesse paysanne prend les armes



Los Campesinos - We Throw Parties, We Throw Knives (MP3)
Los Campesinos - You! Me! Dancing! (MP3)

A ma connaissance – mais j’y connais rien – le Pays de Galles n'est pas connu pour ses révoltes agraires. Los Campesinos ne sont donc pas des culs-terreux "rouges" de la Mancha, mais sept étudiants de Cardiff plus proche de la première année que du troisième cycle. Leur rock rebondit, un garçon chante comme un puceau en lutte contre ses pollutions nocturnes. Pour le soulager, il y a des filles dans des refrains un peu crétin: du genre on est jeune, on boit du Malibu (libre traduction). Le groupe se compose de 3 filles et quatre garçons. Il doit y avoir un cocu dans l’affaire.

Aux pays de Stereophonics et des mauvais gauchistes de Manic Street Preachers, Los Campesinos s’attaquent à ce rock élastique et bordélique en gesticulation de l’autre côté de l’Atlantique du côté de Islands, Broken Social Scene ou Spinto Band. Quarantaine oblige, cette gentille bestiole n’avait pas droit de gambader en Grande-Bretagne, elle devait faire tâche dans la généalogie locale. Mais la géographie est morte. Los Campesinos prennent le bus avec Architecture In Helsinki, tonton s’appellent Pavement et raconte de vieilles blagues lo-fi, parfois quand ils ont pas cours le lendemain ils crèchent sur la canapé de Wolf Parade ou le lit superposé de Deerhof. Les mélodies qui partent s’arrêtent et dérapent, les voix superposées, ça peut donner une vilaine migraine présidentielle. Sauf que chez nos Gallois le bordel s’organise. Du coup la tête s’aère et le corps rajeunit. Et puis il suffit juste de se frotter au premier assauts de We Throw Parties, We Throw Knives pour commencer une amourette 1) deux minutes 23 secondes 2) une semaine 3) un été. Moi je vote trois.

Un premier album est en préparation chez Wichita. Bonne nouvelle, le second album de CYHSY n’aurait pas totalement coulé cette noble structure.

Regarde les hommes tomber





Ni à Cannes, ni à la télé, ni en bonus d'un DVD... et pourtant, ils tournent : sur YouTube, on trouve des bijoux amateurs d'inceste cinéma-rock, des clips musico-cinéphiliques dignes des tentatives des pros (comme le Modern Love de Bowie par Carax ou le This Time Tomorrow des Kinks par Garrel).

A ma gauche, Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein - son lyrisme muet, son grain twenties - et Rusty James de Coppola, ses jeunes premiers dévorés (Mickey Rourke, Matt Dillon) ou digérés (Nicolas Cage) par Hollywood, sa photo léchée en noir et blanc, son "cinéma filmé" ou l'essentiel était moins de chercher à recréer quelque chose de neuf que de vernir d'une mélancolie nécrophile (la mort du cinéma des années 80) les figures des années 50, de James Dean à Marlon Brando. A droite, Intervention d'Arcade Fire, son beau et gros lyrisme, son ambiance de cathédrale. Emouvant ou ampoulé, selon l'humeur ou l'auditeur.

Au centre, deux clips superbes. Qui oublient l'histoire (pour ça, il faudrait du temps, beaucoup plus) pour se concentrer sur la poésie, tisser des rimes entre images, paroles et sons. Des grandes orgues scandent le rassemblement d'une bande ("You're still a soldier in your mind"), soulèvent des trombes d'eau et chassent les nuages. Un carton "suddenly" déclenche une cavalcade musicale. Win Butler chante "Wanna hear the soldier sing" tandis que les fusils braillent.

Les images riment avec la musique, donc, mais elles riment aussi entre elles et avec la musique. Il suffit de regarder les deux clips en même temps, ou avec un décalage de dix, vingt, trente, soixante secondes. En plus de se créer une installation arty, une cacophonie dérangeante et obsédante, on se rend alors compte que cette caméra, ce stylo, cette voix cherchent à capter la même chose : le regard brillant et inquiet ("I can taste the fear") de ces gens qui se battent presque à regret ("Don't wanna fight, don't wanna die"). Et cette seconde qui s'écoule très lentement, à Tulsa ou sur l'escalier d'Odessa, pendant qu'ils titubent ou piétinent, comme ivres, juste avant de s'écrouler.

23 mai 2007

Simian pré-disco



Simian - Drop and Roll (MP3)
Simian - One Dimension (MP3)

Avant le remix jackpot, l’appel du dance-floor et les effluves de Moët & Chandon au Showcase, Simian, pas encore Disco Mobile, était un groupe de laborantins psyché pop du début des années 2000. Avec leurs manies de vouloir dépuceler une mélodie évidente au contact de fréquentations diverses et fumeuses (dans une marmite malaxant flower pop, elctronica chercheuse et folk débridée), ils arrivaient un peu après la bataille. Car par cet an 1 du millénaire, le Beta Band pliait les gaules laissant le bon sauvage à six cordes s’en allait électrifier les esprits pervers et tous ces foutus rats de studio.

Simian c’était trop l’esprit et pas assez le corps, clamaient les kapos du vintage. C’est sûr qu’il fallait s’accrocher à des intros au mélodica, suivre des infidélités électroniques à une époque où des critiques positives des Datsuns se publiaient en toute légalité. Pourtant derrière les tubes à essai se cachaient des chansons plutôt meilleures que la moyenne. Des chansons sans gros sabot ou le couplet en pré fabriqué : ils cherchaient un peu la complication et l’indifférence. La patience de la maison de disque ne s’éternisera pas plus de deux albums. Puis quand tout semblait mort, Simian est devenu danceble. Ce n’était que Justice. Avec We are your friends, la puissance tubesque du groupe était enfin démontrée. La pop c’était refusée à eux, les clubs serviront donc d’abris sonores à une moitié du groupe maquillée en Simian Mobil Disco. Simian bien embaumé, Gordon Brown devrait décréter un hommage posthume pour ce groupe perdu des années Blair.

17 mai 2007

Kim Novak fait bouger les lignes


Kim Novak - Swallow (MP3)

Même s'ils viennent d'un fief de droite (Caen), la comparaison ne va peut-être pas leur plaire, mais tant pis : Sarkozy, Kim Novak, même combat. Comme la droite française, la pop francophone se décomplexe, se libéralise, jette par-dessus bord ses vieilles idéologies : tant mieux. Pour reprendre un des tics de langage favoris de la nouvelle idole de ce blog, "vous trouvez ça normal ?" Normal que la culture française de l'ado moyen se résume au néo-métal (qui est sûrement au métal ce que le néo-fasc... euh non rien), à des navrantes chansons de balloches festives (textes de café du commerce écrits sur le coin d'un zinc commerce équitable) ou aux dernières myspaceries en date (thanks for the add, mais pas pour la musique) ? "Eh bien, non, moi, je ne trouve pas ça normal".

Aujourd'hui, assez de solidarité et de gaieté, place à l'urgence, à la peur, au tranchant, au sombre. Place à Joy Division (les types qui prenaient pour nom une référence aux camps de concentration), les Smiths (le chanteur qui s'enroulait dans l'Union Jack sur scène et chantait National Front Disco), The National (comme la préférence du même nom) ou Interpol (vive la police). Place donc à Kim Novak, Luck & Accident. Et dès le deuxième morceau, Swallow, leur This charming man : motif de guitare instantanément mémorisable, lyrisme vocal, saccades et brusques accélérations.

Deux chansons plus tard, Lost At Play creuse le même sillon, mais heureusement l'album ne se contente pas de photocopier les Smiths et va chercher à l'occasion chez les Cure période Seventeen Seconds (Female Friends) ou The National (In The Mirror, qui a perdu son "new" depuis que j'en parlais ici il y a un an). Reste la question rituelle (même si personne ne la pose jamais franchement) quand on parle d'un groupe français : est-on plus positifs envers eux parce qu'ils sont Français ? Oui et non. Oui, parce que Luck & Accident ne renouvelle pas vraiment la néo-new-wave qui a déjà une teinte un peu rouillée depuis quelques années. Non, parce que, dans le genre, ce disque est plus enthousiasmant que l'inégalissime premier LP de Maxïmo Park ou le bon mais trop léché Antics d'Interpol. Bref, quand les sondeurs analyseront mon vote pour Kim Novak, ils concluront ceci : "50 % patriotisme musical, 50 % adhésion mélomane".

07 mai 2007

La musique, Hongrie qui vient de l'intérieur


Half Man Half Biscuit - I Was A Teenage Armchair Honved Fan (MP3)

(Le plateau du jeu télé
Pyramide. Les couleurs du décor ont été changées: le sol est rouge, les tables et les sièges sont blancs, les grandes pyramides sont bleues. Ca fait mal aux yeux).

L'ANIMATEUR
Eeeeeennnnnnn... quatre
("Toudidoudidoudidoudi", fait le jingle tandis que les quatre briques s'affichent à l'écran)
Hongrie ?

LE CANDIDAT
Nicolas Sarkozy ?
(Hurlements orgasmiques du public en délire. Une brique en moins.)

L'ANIMATEUR
Football ?

LE CANDIDAT
Ferenc Puskas ?
(On entend le mot "métèque" dans le public. Deux spectateurs, un jeune et un vieux, discutent football. Le vieux se souvient du bon temps du football d'avant 68, quand les joueurs ne portaient pas encore les cheveux longs et savaient rester à leur poste. Le jeune lui dit que le kop Boulogne, c'est bien aussi. Deux briques en moins).

L'ANIMATEUR
Club ?

LE CANDIDAT
Kispest Honved ?

("Kispest quoi ?". Plus qu'une brique).

L'ANIMATEUR
Gâteau ?

LE CANDIDAT
J'ai trouvé ! I Was A Teenage Armchair Honved Fan, des Half Man Half Biscuit.

LE PRESENTATEUR
Bravo ! Vous aimez cette chanson ?

LE CANDIDAT
Beaucoup. Qu'un Français comme moi aime ce morceau composé par un groupe de branleurs lève-tard anglais aux faux airs de Television Personalities, en hommage à un fameux club hongrois, prouve bien que la pop est un langage de libération universel qui prône le droit à la paresse et à la futilité et permet le métissage des cult...

(Deux infirmiers en blouse blanche siglée CSA interrompent le candidat et l'évacuent du plateau en le traînant par les cheveux).

05 mai 2007

Le service Clientele



The Clientele - Bookshop Casanova (MP3)
The Clientele - From Brighton beach to San Monica (MP3)

Vieillir c’est moche. On perd son exaltation, on enterre ses rêves de gloire, certains finissent par céder au centrisme et trouvent un vrai travail. Sans en arriver à de telles extrémités, on peut juste lâcher la roue de la hype pour apprécier le charme discret de la pop quatre étoiles (terme moins effrayant que rock adulte). Sous sa devanture de bourgeoise de sous-préfecture, la pop quatre étoiles vante les mérites de la mélodie travaillée, de l’arpége soignée. L’arrogance en sourdine, elle trace son chemin entre bienveillance et indifférence, débauche ses fidèles un par un, préférant l’individu à la masse. Elle cite Left Banke et crache sur le NME. Dans le cas de The Clientele, toute la question était de savoir si le groupe allait conserver sa quatrième étoile chèrement acquise avec son précédent album Strange Geometry : symphonie inachevable adressée aussi bien aux Byrd qu’à Felt.

God Save The Clientele n’amorce qu’une révolution de velours. Une orfèvrerie de plus, mais sans refus, un disque qui a de la consistance une fois tiré. Les averses de cordes signées par Louis Philippe tombent toujours . God Save The Clientele pourrait se contenter d’être une digne livraison des High Llamas, mais son ambition s’élève au dessus de la simple exégète d’un son west-coast. Bien que surtout reconnu aux Etats-Unis, le groupe reste anglais, supportant le soleil avec modération, à mi chemin entre la candeur de Hall et la gueule de bois de I Am Kloot. Un écartèlement entre la mère nourricière et la terre promise résumé par le titre de From Brighton Beach to San Monica. Bookshop Casanova lui a tout du futur standard caché. La jeunesse criera à la pop en charentaise, au confort sonore en ronce de noyer – où se cache ma guitare aux hormones, pourquoi le batteur balaie et ne frappe jamais ? Elle aurait raison, mais je lui dirais qu’avec une telle Clientèle nous pouvons vieillir dignement. Le plus tôt possible même.

Pour ceux qui poussent leur dépendance footballistique – comme moi - à écouter la RMC-Poujado-Info, je signale que Louis Philippe n’est autre que Philippe Auclair, l’impeccable correspondant anglais de la station. Auclair a également signé une excellente enquête sur le pseudo miracle blairiste : Le royaume enchanté de Tony Blair.

02 mai 2007

Rivulets, séance de rattrapage


(Photo : Laurent Orseau)

Rivulets - Heartless (MP3)

Je publie ce post le 2 mai, j'ai commencé à l'écrire le 1er. Je parle de Rivulets au printemps, son disque est sorti l'hiver dernier. You Are My Home est un album de jour férié et de vacances prolongées. Un album de folk pastoral. Qu'est-ce que le folk pastoral ? Rien, le plus souvent : un seul homme (ici, il s'appelle Nathan Amundson), des moyens simples, une production austère. Que peut-il ? Tout, y compris prouver l'existence de Dieu à l'athée le plus endurci (se reporter au Five Leaves Left de Nick Drake ou au Song To The Siren de Tim Buckley). Qu'est-il dans l'actualité? Pas grand-chose, tant parce que le bruit attire le bruit que parce que chanter tout seul avec une guitare en bois et un violon caché sous la couette n'évite pas toujours la complaisance et l'ennui. Résultat, on préfère se reporter sur les branleurs antifolk qui, en plus d'avoir parfois du génie dans leur genre (les Moldy Peaches), nous font au moins rire.

Rivulets, donc. Quelqu'un qui, plutôt que distordre le folk, a préféré le prendre bien droit et mettre son coeur sur la table, avec des mots simples dont il essaie de tirer quelque chose de neuf, un lexique d'enfant ou "win", "lose", "home" ou "house" sont les mots qui apparaissent le plus souvent. "House", surtout : You Are My Home n'est pas un disque de studio, c'est un disque de maison. Pas un disque ou le musicien est allé se confronter à l'extérieur, au risque d'y compromettre sa pureté, mais plutôt une oeuvre familière, où on reconnaît quelques précédents occupants des lieux (Nick Drake, Elliott Smith, le Will Oldham le plus angélique ou Sparklehorse, dont Rivulets a repris Painbirds sur un tribute) mais où la déco a été réaménagée avec personnalité et un goût parfait. Le disque de quelqu'un qui, sûrement pas très loin d'un petit grenier au plancher qui grince, a enregistré pour lui et sa bulle ses impeccables chansons-bibelots, patinées par le temps mais sans poussière. Ne pas déranger.

(Histoire de contredire illico ce portrait à l'ancienne de songwriter champêtre, signalons que Rivulets a un excellent site webYou Are My Home est disponible en téléchargement gratuit, et qu'il aime franchir l'Atlantique puisqu'il sera à la Flèche d'or le 10 mai, avec également deux dates à Strasbourg et Bordeaux)