20 février 2006

Chuck Klosterman, le rock et nous



« La guerre nucléaire, l’économie ou la nécessité d’établir un Etat palestinien ne m’inquiètent pas l’ombre d’une seconde, mais je passe un paquet de temps à me soucier de savoir si j’ai besoin d’acheter, pour des raisons de catalogage, tous les albums moins-que-foudroyants sortis par les Rolling Stones dans les années 80 ». Non, cette phrase n’est pas extraite du High Fidelity de Nick Hornby, mais vous n’êtes pas tombé loin : un océan plus à l’ouest, mais dans la même zone littéraire, celle de l’exploration minutieuse du cerveau d’un fondu de rock.

Chuck Klosterman, critique américain, auteur du largement autobiographique Je, la mort et le rock’n’roll, récemment traduit en français, partage nombre de caractéristiques avec le Rob Fleming de High Fidelity : une discothèque à faire pâlir son banquier, un humour acide et une certaine propension à analyser ses histoires amoureuses à la lumière de choses aussi essentielles que les albums solo des membres de Kiss.

Ce sont donc les différences avec son alter ego anglais qui font tout le prix de ce livre, au point de le rendre sans doute encore plus jouissif que High Fidelity : un panel de goûts baroque (de Def Leppard à Radiohead) et donc plus amusant ; un projet qui parvient fidèlement à mêler les petitesses de la vie ordinaire et le Mythe (le livre se présente sous la forme d’un voyage d’Est en Ouest, à la recherche des lieux ou des rock-stars plus ou moins célèbres sont mortes) ; enfin, une propension au délire absolument incontrôlable, à l’image du moment où l’auteur explique comment la 3e minute 42e seconde de The National Anthem, de Radiohead (Kid A, 2000), reflète le crash du deuxième avion sur le World Trade Center, le 11 septembre 2001.

Accessoirement, Chuck Klosterman décrit parfaitement, sans le connaître, le quotidien d’Interprétations diverses. Ecoutez le parler de son journal, Spin : « La première fois que j’ai mis les pieds dans ces bureaux, trois types parlaient de J. Mascis sans raison apparente, et l’un deux qualifiait son jeu de guitare d’« incisif ». Ils venaient juste de rentrer déjeuner. Il était 15 h 30. J’étais la troisième personne la plus âgée dans toute la rédaction. J’avais 29 ans ». Jeunes, glandeurs, prompts à parler des heures d’une chanson, d’un musicien, d’un blog musical : qui sait, peut-être sommes-nous voués à devenir rock-critics, nous aussi.