18 janvier 2006

Il était une foi en l'Amérique

Interprétations diverses fête aujourd'hui son premier anniversaire. L'occasion de risquer une petite théorisation de notre « politique des auteurs », celle de l’indie nord-américain. Un genre d'un nouveau genre que l'on défend âprement face à la « qualité anglaise » dominante.

"Come writers and critics, who prophesize with your pen
And keep your eyes wide, the chance won't come again
And don't speak too soon, for the wheel's still in spin
And there's no tellin' who that it's namin'
For the loser now will be later to win"

(Bob Dylan, The times they are a-changin').

Sa définition. Le rock anglais crève sous ses vraies légendes (Clash, Joy Division, Cure), pendant que le rock américain réécrit la sienne. Le constat est dur, mais quadruple. Un : les disques britanniques (Franz Ferdinand, Rakes, Bloc Party) se vendent par Boeing entiers, des bons disques, des moins bons, tout ça se mélangeant en un magma uniforme et lassant. Deux : il existe une scène nord-américaine, ni ultra-dominante ni marginalisée, qui a réussi à se tailler un territoire commercial conséquent (Arcade Fire, Clap Your Hands Say Yeah, Sufjan Stevens, Wolf Parade, Bright Eyes...). Trois : les leaders de cette scène ont souvent été popularisés grâce à Internet, par les blogs et webzines, mais aussi par le peer-to-peer et la vente en ligne, qui permettent la diffusion à plus large échelle de disques parfois mal distribués en France (voir par exemple, en 2003, la diffusion chez les fans de pop français de Chutes to narrow des Shins, six mois avant sa sortie officielle). Quatre : tout en s'inscrivant résolument dans un cadre rock, et un format de chansons plutôt classique, ces groupes marient pour la plupart une grande variété d’influences, rappelant que l’Amérique est aussi bien le pays des Beach Boys que de Sonic Youth, de la power-pop la plus jouissive que du folk le plus poignant, de l'americana rurale que des immigrés allemands fans de krautrock. Symboles de cet éclectisme : le projet fou "50 Etats, 50 disques" de Sufjan Stevens, ou la schizophrénie de Bright Eyes, auteur de deux disques en simultané l'an passé.

Ses nouveaux défenseurs. Les blogs sont, dans leur majorité, déjà acquis à ce courant. La presse "traditionnelle", même si elle aime toujours ses héros prolos anglais, s'y met aussi, lentement mais sûrement. Sufjan Stevens squatte la deuxième place du podium 2005 des Inrocks, Animal Collective et Clap Your Hands ont droit de cité dans celui de Technikart, et Magic sacre Architecture In Helsinki (pas des Nord-Américains, mais ne chipotons pas) album du mois tout en déplorant que, dans la scène britannique actuelle, "les genres revisités sans grâce ne sont que des gimmicks, et pas des passions chevillées au corps". Le revival rock initié par les Strokes fait encore vendre des journaux, mais plus vraiment rêver les critiques. Proust, qui, vu la longueur de ses romans, aurait sûrement adoré le projet de Sufjan Stevens, l'a mieux écrit que nous : "Les modes changent, étant nées elles-mêmes du besoin de changement".

Ses Tables de la loi. Reste à trouver un disque pour résumer ce nouveau courant. Pas la peine de chercher un Nevermind cumulant déferlante commerciale chez les kids du Midwest et symbole musical pour les intellos new-yorkais : il n’y en a pas. Deux possibilités s'offrent alors à nous. Soit être snob, et aller chercher un disque dans les marges (comme la cassette C86 du NME) : par exemple Discovered covered, tribute à Daniel Johnston réunissant quelques un de nos chouchous (TV On The Radio, Death Cab For Cutie, Bright Eyes...), et montrant le rock américain comme on l'aime, sous toutes ces coutures déchirées - punk, dépenaillé, symphonique, mélodique, expérimental et bruitiste. Soit en prenant Funeral dans la main gauche et Come on! Feel the Illinoise dans la droite, et en mélangeant pour obtenir notre nouvel étalon-maître. Une bonne idée de remix, tiens.

Son nom. Tant qu'à faire, autant trouver également un nom à ce courant. Un brainstorming même pas alcoolisé s'est finalement prononcé pour indillinoise. Comme indie, bien sûr ; également comme Illinoise de l'ami Sufjan, capitale Chicago, ville de Pitchfork, média dominant de ce nouveau courant (après calcul, les disques de notre top 2005 y recueillent une note moyenne de 8,4 : soit on est vraiment suivistes, soit il existe une vraie communauté de goûts) ; et comme noise, pour finir, parce que tous ses disques, à force de se réapproprier brillamment des strates d'influences superposées, font souvent du beau bruit - eh oui, on adore les Fiery Furnaces et Animal Collective.

Ses pères fondateurs. Interprétations diverses étant dorénavant un blog UMP, on appliquera la leçon de Sarkozy : pour encadrer un mouvement bordélique, toujours s'appuyer sur les grands frères. Sans faire forcément le même type de musique, les meilleurs groupes américains actuels ont tous retenu les cours magistraux des deux meilleures formations des années 90, Sparklehorse (photo) et Wilco. Soit deux groupes qui, partis d'une tradition voisine (la country alternative) y incorporèrent peu à peu tous les courants musicaux américains, de la power à la noisy-pop. En 2005, tout le monde a juste inversé les proportions, en gardant souvent un tropisme folk (même CYHSY, si si - écoutez Details of the war, pour voir) avant de partir joyeusement dans toutes les directions. Même processus au Canada, où les têtes d'affiche (Arcade Fire, Wolf Parade) ont repris, avec leur propre sensibilité, les leçons du Radiohead du milieu des années 90, époque lyrique de OK Computer.

Son avenir. Vu le programme des douze prochains mois, notre enthousiasme pour ce courant ne risque en tout cas pas de s'éteindre : TV On The Radio, Shins, Josh Rouse, I Love You But I've Chosen Darkness, Fiery Furnaces... vont revenir affronter l'armée des clones britanniques. Et comme on parlait de Sparklehorse et Wilco, un souhait, pour finir : revenez-nous vite avec un album studio, histoire de mettre la pression à toute la jeune génération. Pour citer au moins une fois un jeune groupe anglais : Apply some pressure. A prononcer avec l'accent américain, ou québecois à la rigueur.