08 janvier 2006

Déjeuner avec Donnedieu : ministère amer ?

Si vous suivez ce qui se passe sur le net, vous le savez peut-être : j'ai été invité à déjeuner au ministère de la culture avec Renaud Donnedieu de Vabres et quelques bloggeurs pour discuter du texte de loi sur les droits d'auteur (DADVSI). Je n'ignore pas que ce foie gras avalé en terres ennemies a une forte valeur symbolique. Et qu'il m'expose aux remarques acerbes, aux critiques légitimes et autres jalousies mal placées. Voici en tout cas quelques éclaircissements personnels.


La légitimité des bloggeurs ?
Pourquoi inviter des bloggeurs et pourquoi ceux-là ? La question est délicate. En terme de représentation de l'Internet, tout le monde n'avait peut-être pas sa place au banquet. Tristan Nitot, patron de Mozilla Europe, était clairement légitime mais il était plus là en tant que représentant des logiciels libres qu'en tant que bloggeur. Loic Le Meur m'a paru utile au débat. C'est quand même le premier bloggeur (et podcasteur) français, chef de file de cette génération d'entrepreneurs libéraux qui réinventent le web. Fafa, DJ de la French Touch et auteur du vieux tube Lucky Star (Superfunk) était là car il promeut sa musique avec les nouveaux outils de l'Internet. Quant aux autres, leur représentativité ne m'a pas paru éclatante. Il est aussi vrai qu'il aurait été plus habile de ne pas limiter la discussion aux seuls bloggeurs. D'autres acteurs de l'Internet étaient plus légitimes que nous. Je pense notamment à la Free Software Foundation, à Tariq Krim ou à Florent Latrive.

Pourquoi moi ?
Eh bien parce que mon ami Chryde de la Blogothèque, invité à la base, n'a pu venir. Il a jugé utile qu'un représentant des MP3 blogs soit tout de même présent. Afin que l'opinion d'un passionné de musique qui outrepasse les règles du copyright pour faire partager ses goûts aux autres soit entendue. Comme je n'avais pas de chaussures décentes mais juste des vieilles baskets, je représentais aussi les sales jeunes de la génération numérique. Une légitimité vestimentaire face aux dino-sau-res de la blogogeoisie présents.

Une opération de com' ?
C'est la principale critique qui a été faite aux bloggeurs présents, celle d'avoir été les pantins d'une opération de com' du ministère. Et effectivement, c'en était une. Le ministre a commencé le repas avec cette remarque assez drôle : "Après tout ce qui s'est passé sur les blogs au sujet du DADVSI, je n'ose plus taper mon nom sur un moteur de recherche". Bref, clairement, le ministre a invité des bloggeurs pour que nous répandions la bonne parole sur nos blogs, pour que nous expliquions que le ministre n'est pas un vendu à Universal mais quelqu'un qui aime la culture libre et le foie gras. Donnedieu de Vabres s'est pris la claque de sa vie en décembre et calmer la blogosphère lui paraît un préalable à toute réhabilitation politique. Il n'a pas tort.

Ca sert à quoi ?
Est-on venu uniquement pour faire beau sur la photo ou a t-on défendu franchement la cause de l'Internet ? Rien n'était préparé et chaque bloggeur a défendu son petit biz dans son coin, sans qu'une position commune ne se dégage vraiment. Tristan Nitot a défendu les logiciels libres, Loic Le Meur a défendu la possibilité de mettre de la musique dans les podcasts, etc... J'ai logiquement défendu les MP3 blogs. La bonne surprise est que le ministre a semblé réellement concerné par la majorité des problèmes évoqués. J'ai comme l'impression que Donnedieu s'est fait déborder par certains ultras de son ministère à l'heure de rédiger la première mouture de la loi. Et que maintenant, il est sincèrement prêt à équilibrer la balance et à entendre les arguments du camp d'en face, ne serait-ce que pour sauver sa peau. Ce déjeuner lui aura au moins permis de prendre le pouls de la scène Internet (pas la plus radicale, je le concède). Reste que ce déjeuner aurait dû avoir lieu il y a deux mois, avant la première lecture au Parlement.

Et après ?
Apparement satisfaite du dialogue, la directrice de cabinet adjointe de Donnedieu nous a convié à une future réunion pour travailler sur certains points précis de la loi où le ministère semble avoir pêché par ignorance ou par maladresse. Un exemple : sur le problème des logiciels libres, le ministre a juré ne pas vouloir entraver leurs développements et promet de réécrire le texte si des zones d'ombre subsistent. Un peu dépassés par l'ampleur de la tâche, les conseillers du ministre ont tout simplement besoin d'aide.
Bien sûr, toutes ces belles promesses ne sont que des promesses et il faut attendre la rédaction de la deuxième mouture du texte pour être fixé. Il n'en demeure pas moins que le discours a changé. Le Donnedieu du déjeuner de janvier n'était pas le Donnedieu de l'Assemblée en décembre. C'était un Donnedieu plus pragmatique, plus ouvert à la contradiction, prêt à aménager son texte. Comme sur le conflit des intermittents où il avait joué le rôle de pompier d'Alliagon, il veut maintenant éteindre le feu qu'il a lui-même allumé. C'est très politique mais on ne peut que s'en réjouir.

Et les MP3 blogs dans tout ça ?
On en vient enfin à ce qui nous intéresse, les MP3 blogs (NDLR : sites persos mettant des MP3 en téléchargement libre afin de faire découvrir des artistes). Ce nouveau mode de diffusion de la musique est menacé par une offensive de la SACEM. Je ne m'attendais donc pas à convaincre Donnedieu de l'utilité de la chose, bien au contraire. En témoigne cette blague que m'a glissé Tristan Nitot à l'issue du dîner : "Alors Vincent, elles sont où tes menottes ?". Car le MP3 blog, pour des apôtres du copyright, c'est quand même pas joli, joli.
J'explique donc ma petite affaire à Donnedieu et là, surprise, le voilà qui approuve sur l'air du : "C'est bien mon petit, tu fais avancer la cause de la musique". Et moi, d'expliquer que nous sommes en quelque sorte les "nouveaux petits disquaires du web", des passionnés qui font écouter un titre ou deux pour faire acheter l'album à d'autres passionnés. Il me répond que c'est bien mais que quand même, c'est bien triste un quartier sans disquaire. Ce à quoi je réplique : "Mais monsieur le ministre, les petits disquaires ferment mais notre démarche aurait tendance à les remplacer par des petites salles de concert. Plus la musique est diffusée, plus les gens l'écoutent et l'apprécient". Il est bien d'accord et il finira par balancer à un auditoire sidéré : "Plus il y aura de nouveaux blogs, mieux se portera la création". Voilà comment j'ai pactisé avec la droite et fait reconnaître l'utilité des MP3 blogs. Paradoxal.

Ouais, c'est bien beau mais alors ?
Je ne sais pas si Donnedieu a bien compris le principe des MP3 blogs. Il n'en demeure pas moins que les principes de l'échange et de la découverte, fidèles à sa pensée humaniste (un peu datée), le séduisent. Ou, en tout cas, il simule bien la chose. Au contraire de Loic Le Meur qui aimerait bien que la loi lui autorise à balancer de la musique dans ses podcasts, je n'ai pas demandé de légiférer sur les MP3 blogs. Selon moi, le vide juridique actuel nous est profitable. Comme nous n'avons rien à payer pour diffuser les contenus, nous ne sommes pas obligés de recourir à la publicité et nous sommes donc indépendants des maisons de disque.
Si le ministre nous laisse tranquille, la SACEM pourraît venir rapidement nous emmerder. Nous pourrons alors utiliser les propos tenus dans ce déjeuner par le ministre. Et eventuellement lui demander de nous soutenir. D'ailleurs, au fond, sa position s'explique facilement : tant qu'on ne fait pas perdre d'argent aux maisons de disque (au contraire, on en fait plutôt gagner), on ne fait chier personne. Donc, autant pas nous faire chier.