Scott Walker, fin du silence radio
Scott Walker – Mathilde (MP3)
Scott Walker – 30th Century Man (MP3)
Scott Walker – Rawhide (MP3)
Après une chanson de Scott Walker, le silence qui suit est encore de Scott Walker. Neuf années de silence depuis son dernier disque, Tilt (1995), auquel 4AD vient d'annoncer un successeur pour mai, The Drift.
« C’était un petit con, mais il était beau quand même, et il avait la classe », a écrit de lui le critique rock Nik Cohn, en 1969. Aujourd’hui, parler de Walker à l’imparfait est toujours d’actualité : l’homme s’est déjà donné la mort deux fois. En 1967, chanteur au sein des adulés Walker Brothers, il plaque tout pour se lancer en solo, façonnant en trois ans quatre splendides albums de pop symphonique et intellectuelle, simplement titrés Scott, Scott 2, Scott 3, Scott 4. Dans les années 80, il tire définitivement un trait sur la carrière de chanteur pour femmes finissantes, type Tom Jones, qui l’a parfois guetté. Et livre deux disques hantés, Climate of hunter (1984), puis Tilt.
Derrière ces ruptures artistiques, de vraies fêlures : un accident de voiture simulé pour éviter les tournées et leur cortège de fans transies, un sérieux penchant pour la bouteille et une tentative de suicide, en 1966. Des fêlures que Noel Scott Engel a caché derrière un nom de scène et des masques. Ceux des musiciens qui l’ont inspiré, Burt Bacharach, Tim Hardin et Brel, surtout, qu’il a été le premier à reprendre en anglais, pour un résultat parfois sublime (Mathilde, sur Scott).
Ce n’est pourtant pas en « faisant du Brel » que Walker a trouvé sa voie. Sa patte est ailleurs. Dans le contraste saisissant entre des orchestrations grandioses et un chant étonnamment froid, qui laisse le silence filtrer à travers la mélodie. D’où l’impression de malaise, de gâchis, qui saisit parfois l’auditeur déconcentré. La musique de Walker ne tolère pas l’oreille distraite.
Un goût du silence qu’il a poussé à son paroxysme à partir des années 80. Sa carrière est devenue plus compliquée, le temps entre ses albums s’est allongé : « Pendant des années, je suis resté assis dans des pubs à regarder des types lancer des fléchettes ». Ses ventes, énormes au début de sa carrière, ont dégringolé : une légende tenace veut que Climate of hunter, qui s'ouvre sur le sombre Rawhide, soit la pire vente de toute l’histoire du label Virgin.
Le chanteur ne se produit plus en concert. Cet Américain, chassé de son pays par la guerre du Vietnam, est exilé en Angleterre depuis 40 ans. Baladé de labels en labels et mûr, forcément, pour le statut d’artiste maudit : « Pour l’industrie musicale, je suis Orson Welles. Tout le monde veut m’emmener déjeuner, mais personne ne veut financer mes films ».
Rien d’étonnant alors à ce que ce cinéphile se soit acoquiné avec un cinéaste maudit, Leos Carax, pour qui il réalisa la B.O. de Pola X, en 1999. L’an dernier, c’est Wes Anderson qui lui a rendu hommage en incluant un de ses morceaux, 30th Century Man (extrait de Scott 3), dans son jouissif La vie aquatique. Côté musique, Walker, qui avoue son peu de goût pour le rock actuel, a pourtant influencé le meilleur de la scène anglaise récente (Pulp, Tindersticks…), qui lui voue un véritable culte. La beauté de ses disques n’a d’ailleurs qu’un rapport lointain avec le commerce des singles ou l’impact d’un « message » : le chanteur n’a engendré ni militants ni suiveurs, plutôt des disciples isolés. L’un deux, Julian Cope, lui rendit hommage dès 1981 par une compilation dont le titre résume bien la place du bonhomme, très haute mais isolée, dans les livres d’histoire du rock : Fire-escape to the sky, the godlike genius of Scott Walker.
Scott Walker – 30th Century Man (MP3)
Scott Walker – Rawhide (MP3)
Après une chanson de Scott Walker, le silence qui suit est encore de Scott Walker. Neuf années de silence depuis son dernier disque, Tilt (1995), auquel 4AD vient d'annoncer un successeur pour mai, The Drift.
« C’était un petit con, mais il était beau quand même, et il avait la classe », a écrit de lui le critique rock Nik Cohn, en 1969. Aujourd’hui, parler de Walker à l’imparfait est toujours d’actualité : l’homme s’est déjà donné la mort deux fois. En 1967, chanteur au sein des adulés Walker Brothers, il plaque tout pour se lancer en solo, façonnant en trois ans quatre splendides albums de pop symphonique et intellectuelle, simplement titrés Scott, Scott 2, Scott 3, Scott 4. Dans les années 80, il tire définitivement un trait sur la carrière de chanteur pour femmes finissantes, type Tom Jones, qui l’a parfois guetté. Et livre deux disques hantés, Climate of hunter (1984), puis Tilt.
Derrière ces ruptures artistiques, de vraies fêlures : un accident de voiture simulé pour éviter les tournées et leur cortège de fans transies, un sérieux penchant pour la bouteille et une tentative de suicide, en 1966. Des fêlures que Noel Scott Engel a caché derrière un nom de scène et des masques. Ceux des musiciens qui l’ont inspiré, Burt Bacharach, Tim Hardin et Brel, surtout, qu’il a été le premier à reprendre en anglais, pour un résultat parfois sublime (Mathilde, sur Scott).
Ce n’est pourtant pas en « faisant du Brel » que Walker a trouvé sa voie. Sa patte est ailleurs. Dans le contraste saisissant entre des orchestrations grandioses et un chant étonnamment froid, qui laisse le silence filtrer à travers la mélodie. D’où l’impression de malaise, de gâchis, qui saisit parfois l’auditeur déconcentré. La musique de Walker ne tolère pas l’oreille distraite.
Un goût du silence qu’il a poussé à son paroxysme à partir des années 80. Sa carrière est devenue plus compliquée, le temps entre ses albums s’est allongé : « Pendant des années, je suis resté assis dans des pubs à regarder des types lancer des fléchettes ». Ses ventes, énormes au début de sa carrière, ont dégringolé : une légende tenace veut que Climate of hunter, qui s'ouvre sur le sombre Rawhide, soit la pire vente de toute l’histoire du label Virgin.
Le chanteur ne se produit plus en concert. Cet Américain, chassé de son pays par la guerre du Vietnam, est exilé en Angleterre depuis 40 ans. Baladé de labels en labels et mûr, forcément, pour le statut d’artiste maudit : « Pour l’industrie musicale, je suis Orson Welles. Tout le monde veut m’emmener déjeuner, mais personne ne veut financer mes films ».
Rien d’étonnant alors à ce que ce cinéphile se soit acoquiné avec un cinéaste maudit, Leos Carax, pour qui il réalisa la B.O. de Pola X, en 1999. L’an dernier, c’est Wes Anderson qui lui a rendu hommage en incluant un de ses morceaux, 30th Century Man (extrait de Scott 3), dans son jouissif La vie aquatique. Côté musique, Walker, qui avoue son peu de goût pour le rock actuel, a pourtant influencé le meilleur de la scène anglaise récente (Pulp, Tindersticks…), qui lui voue un véritable culte. La beauté de ses disques n’a d’ailleurs qu’un rapport lointain avec le commerce des singles ou l’impact d’un « message » : le chanteur n’a engendré ni militants ni suiveurs, plutôt des disciples isolés. L’un deux, Julian Cope, lui rendit hommage dès 1981 par une compilation dont le titre résume bien la place du bonhomme, très haute mais isolée, dans les livres d’histoire du rock : Fire-escape to the sky, the godlike genius of Scott Walker.
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