11 mai 2005

Dylan, important parce qu'inégal


Mouse and the Traps – A public execution (MP3)
The Byrds – My back pages (alternate version) (MP3)
David Bowie – Song for Bob Dylan (MP3)

« Depuis vingt ans il arrive (trop rarement) que, de par le vaste monde, un chanteur puisse travailler assez et assez vite pour se permettre le luxe suprême, la récompense à laquelle personne n’ose plus prétendre, ce qu’on devrait dire de plus louangeur : qu’il est inégal. Qu’il a gagné le droit à l’inégalité. La capacité de rater un disque sans obérer pour autant son image où la suite de sa carrière. »

Le titre de ce post, ainsi que la phrase précédente (légèrement modifiés) ne concernent pas Bob Dylan. Ils ont été écrits par le critique Serge Daney en 1982, à la mort du cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder.

Fassbinder, Dylan, deux artistes sous les feux de la rampe actuellement, l’un à l’occasion de la réédition de ses films, l’autre pour la sortie française du premier tome de son autobiographie. Dylan, Fassbinder, deux créateurs à qui on peut appliquer le jugement de Daney. Songez qu’entre 1962 et 1966, le natif du Minnesota sortit pas moins de sept disques, alors que tant de groupes gèrent aujourd’hui leur maigre capital-risque pendant de longs mois, entre tournées et frasques médiatiques !

Dylan, lui, fut pendant ces quelques années au centre d’un tourbillon dont tout - musiques populaires, idées politiques, vie privée - sortit transformé. Comme Fassbinder, il brancha son instrument de travail sur une époque électrique pour son pays (ces fameux temps qui changent…), osa, tenta, au risque de la vulgarité, du ratage parfois. Cela explique que certains ont pu lui préférer ses successeurs (Cohen, par exemple, dont l’œuvre, magnifique par ailleurs, fut jusqu’aux années 80 d’une tenue remarquable) ou que j’ai rarement réussi à écouter Blonde on blonde d’une seule traite (contrairement à ce chef-d’œuvre tardif qu’est Blood on the tracks).

Et pourtant, plusieurs chansons de ce même Blonde on blonde (au hasard I want you ou Absolutely sweet Marie) sont de celles que j’emporterais sur un iPod d’île déserte. Objectivement (ce mot qu’on ne devrait pourtant jamais employer dans une chronique musicale), Dylan fut sans doute l’artiste le plus important du 20ème siècle, abondamment repris (My back pages, par les Byrds), hommagé (Song for Bob Dylan de David Bowie) et copié (A public execution de Mouse, outrageusement pompé sur Like a rolling stone).

On a pu dire de lui qu’il se situait simultanément en avance et en retard sur tout le monde. Sans doute parce que, tandis que certains s’occupaient de leur carrière, lui avançait en longeant un précipice, peu importe si celui-ci se trouve devant ou derrière. Toujours en équilibre instable sur un fil tendu entre culture populaire et « grand art » : « La folk music était un paradis auquel j'ai dû renoncer, comme Adam a quitté le jardin d'Eden. C'était simplement trop parfait. Quelques années plus tard, c'est une tempête de merde qui s'abattait. Et tout commencerait à brûler. Les soutiens-gorge, les livrets militaires, et les ponts derrière soi. »