30 septembre 2007

De la souffrance, de la bonne souffrance

Chez Interprétations Diverses, on croit au journalisme citoyen. C'est pourquoi, avec un brin de démagogie, nous ouvrons nos pages à nos lecteurs. Le célèbre Pradoc de la célèbre Blogothèque nous envoie cette analyse au couteau sur Animal Collective que nous publions volontiers.



Animal Collective - For Reverend Green (MP3)

Pourquoi les journalistes apprécient-ils autant Animal Collective ? Par quel curieux retournement ce groupe très à part, difficile est-il devenu le porte-étendard d’une certaine culture pop ? Ces questions préliminaires ne sont pas des provocations. Loin de moi le désir de rabaisser ce groupe novateur, de vouloir mettre en fuite les auditeurs motivés qui souhaitent tenter l’expérience de Strawberry Jam. Cette introduction est une mise en garde : Animal collective n’est pas très audible pour le public ordinaire, et autant l’avouer, leurs disques provoquent tremblements du pavillon auditifs, acouphènes et pertes de repères. Face à un album d’Animal Collective, l’auditeur est à la fois désireux de comprendre ce qui a lieu et perpetuellement désarçonné. Des amateurs d’expérimentations sonores (des doctorant en Black Dice, et des thésards en Liars) iront même après trois verres, en baissant la voix, de crainte d’être entendus, avouer à regret ne pas arriver à aimer ce groupe bien qu’il soit exactement fait pour eux. Que se passe-t-il donc ? Comment ce groupe provoque-t-il autant d’enthousiasme de principe et si peu de véritables adhésions ? C’est que leur musique est inqualifiable...

Animal Collective est devenu en quelques années chef de file d’un mouvement qui compte peu de membres et s’est installé comme leader incontesté d’un domaine où personne ne lui fait de concurrence : le psyché-rock-noisy (ou le freak-noise, comme il vous plaira). Depuis, le titre qui les fit connaître "Who could win a rabbit", ce groupe a surfé avec bonheur sur ce premier succès qui assura sa réputation de groupe différent, voire de groupe culte. Aujourd’hui, cette formation occupe une place enviable du paysage musical, sa crédibilité indie est au meilleure, et elle a l’honneur d’être tenue comme assez hype pour appartenir au club très fermé des groupes qu’on dit adorer pour épater les voisins, ou pour signifier son appartenance à une sorte d’élite culturelle et musicale. Ne pas connaître animal Collective, c’est par défaut écouter Francis Cabrel. Ainsi soit-il dans le petit monde très hierarchisé des amateurs d’indie-rock. Ce groupe est ainsi devenu au fil du temps un mètre étalon qui permet de constituer des chapelles, de créer des clivages, de séparer le bon grain de l’ivraie, de différencier sans coup férir élégants amateurs pointus et touristes de kiosque à musique.

Car, voilà des musiciens qui écrivent pour eux, ne pensent qu’à se faire plaisir, vivent égoïstement dans leur bulle et se réjouissent d’avoir inventé un cosmos qui est un magnifique refus du compromis, un « non » lancé à la face de l’industrie. De quoi les soutenir et les aimer donc, pour cette démarche. Et de quoi aussi s’assurer grâce à leurs disques des réactions de rejet.

Strawberry Jam est un album éprouvant, on en ressort rincé, les oreilles pendantes, un peu déçu mais étonné et plein d’incompréhension. C’est qu’Animal Collective ne fait rien pour aider. Le disque commence par une longue complainte aboyée pillée au synthétiseur comme un grand saut dans l’eau froide, le contact est rude. Pas d’échauffement, on est de plain-pied dans leur univers, un lieu bizarre que l’on commence pourtant à connaître et qui fonctionne suivant des principes chaotiques mais que l’on peut repérer : mixage des voix, apparition subite de cris et feulements, déstructuration et envol d’ovnis. Ensuite, Strawberry Jam poursuit sur sa lancée, progresse en lignes brisées et se contorsionne. On entend du banjo, du clavier, on entend le chant de la confiture et on est un peu écœuré, mais bon, on reviendra sûrement piocher dans le pot, plus tard.

Ne pas mettre sur pause un disque d’Animal Collective après trois morceaux, c’est très difficile. Vraiment. Ce n’est pas l’envie qui manque. Alors pourquoi continuer ? C’est que sans le savoir en écoutant Animal Collective, on se forme l’oreille. Et si Animal Collective avait pour volonté de nous violer par les oreilles ? Et donc, de nous rendre ensuite sourds aux autres ?