22 août 2006

Devoir de vacances : Diam's

Pendant que d'autres font des châteaux de sable, on révise nos fondamentaux en bossant notre littérature française. Sujet du jour : "Dans un commentaire composé, étudiez la chanson Jeune Demoiselle de Diam's et expliquez en quoi elle colle aux idéaux de la société française du début du XXIème siècle".


Diam’s - Jeune Demoiselle (MP3)

L'été fut américain. À côté du coup de boule et de ses dérivés, le tube s'est recruté outre-atlantique : Nelly Furtado, Justin Timberlake, Pharell… Face à cette déferlante de hip-hop et de football, Diam's fut la seule à défendre la politique des auteurs à la française. Après le gros tube La Boulette, la rappeuse balançait dans l'arène le titre ultime des boîtes de province, Jeune Demoiselle. Dans une première partie, je montrerai comment la chanson marque l'avènement de la drague numérique. Ensuite, je m'attacherai à souligner la vision conservatrice d'une Diams "ségolènisée". Enfin, je mettrai en lumière les présupposés libéraux que sous-tend Jeune Demoiselle.

Après s'être visiblement séparé du « mec » de la chanson DJ avec qui elle voulait « kiffer [sa] vibe », Diam's dragouille sur le web. Sans complexe : « J't'ai pas trouvé sur la planète / J'te trouverais peut-être sur Internet, qui sait ? ». Ce nouveau mode de séduction change profondément les codes. On n'offre plus des roses, on ne laisse plus une petite annonce dans les Transports amoureux de Libération, on laisse simplement son e-mail : « Jeune demoiselle recherche un mec mortel [...] Si t'as les critères, babe, laisse moi ton e-mail ». L'e-mail est un élément capital de la chanson de Diam's. Ainsi la rappeuse aurait aisément pu le remplacer par le vocable « phone-tél » qui offrait une rime plus efficace : « Jeune demoiselle recherche un mec mortel [...] Si t'as les critères, babe, laisse moi ton phone-tél». Mais Diam's préfère insister sur l'e-mail. A l'image de sa génération, elle refuse le contact humain direct et préfère jauger les qualités du possible partenaire par le biais d'une liaison épistolaire fondée sur la preuve par l'image : « PS : l'adresse, c'est jeunedemoisellerecherche(a)hotmail.fr / Si vous pouvez joindre 2 photos / Parce qu'on sait qu'une c'est de la triche ».

Représentante officielle des « djeun's », Diam's est néanmoins conservatrice dans ses idéaux. Malgré la profusion de l'Internet et la drague au kilomètre offerte par Meetic, Diam's croit à l'amour dans sa version la plus pure, celle de Belle du Seigneur d'Albert Cohen : «Dans mes rêves, mon mec m'enlève et m'emmène ». L'e-mail est curieusement remplacé par un cheval et un beau destrier. La rappeuse ne cherche pas un mec pour se payer une baise aux chiottes, mais plutôt pour kiffer sa vibe paisiblement : « Jeune demoiselle recherche un mec mortel […] Un mec fidèle et qui n'a pas peur qu'on l'aime ». On perçoit ici la peur du changement et de l'incident. La vie doit suivre son cours paisiblement, régie par des principes simples et moraux : « Mon mec a des valeurs et du respect pour ses sœurs », « Mon mec est clean ». Sa philosophie se rapproche de celle de Ségolène Royal pour qui elle a d'ailleurs plus ou moins annoncé son soutien. Diam's, comme la présidentiable poitevine, voit la famille comme un pilier fondamental. À l'opposé de la pensée de mai 68. Assez proche des idéaux (supposés) de mars 2006 : travail, famille, CDI.

On reproche à Ségolène Royal d'être blairiste. On pourrait faire le même procès libéral à Diam's. Si on analyse les paroles de la chanteuse, Meetic ressemble à un supermarché de l'amour, où l'on vient faire ses emplettes avec une longue liste de courses : « [Mon mec] a du charme et du style à la Beckham / Il a la classe et le feeling tout droit sorti d'un film / Le charisme de Jay-Z et le sourire de Brad Pitt ». Ce mec fantasmé est invité à laisser son e-mail. Diam's transforme la drague en une sorte de recherche avancée comme on peut en trouver sur Google ou Voyages-sncf.com. Le principe n'est plus « fonce, c'est un beau gosse » mais « fonce, il correspond à une quinzaine de tes 20 critères ». Diam's le dit elle-même : « Si t'as les critères, babe, laisse-moi ton e-mail ». L'incertitude de l'amour est supplantée par la stricte vérité de la statistique. Comme un conseil d'administration d'une multinationale, Diam's voit à court terme et veut des résultats tout de suite, des éléments mesurables objectivement du genre « Mon mec me parle tout bas ». On imagine que la rappeuse, ayant trouvé son « mec mortel », ne laissera pas passer la moindre perte de valeur, le moindre haussement de voix. Et comme dans toute entreprise, la chute du cours en bourse annonce souvent des licenciements…

En conclusion, Jeune Demoiselle ressemble à un manifeste de Ségolène Royal. Pas de prise de position polémique sur le Liban mais une vision de l'amour qui colle à l'air du temps, entre tout-numérique, conservatisme et libéralisme. Un discours a priori consensuel mais pas exempt de considérations idéologiques. Jeune Demoiselle est donc un tube idéal, musicalement irréprochable et idéologiquement précurseur. Sauf si Sarkozy l'emporte en 2007.