31 mai 2007

Regarde les hommes tomber





Ni à Cannes, ni à la télé, ni en bonus d'un DVD... et pourtant, ils tournent : sur YouTube, on trouve des bijoux amateurs d'inceste cinéma-rock, des clips musico-cinéphiliques dignes des tentatives des pros (comme le Modern Love de Bowie par Carax ou le This Time Tomorrow des Kinks par Garrel).

A ma gauche, Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein - son lyrisme muet, son grain twenties - et Rusty James de Coppola, ses jeunes premiers dévorés (Mickey Rourke, Matt Dillon) ou digérés (Nicolas Cage) par Hollywood, sa photo léchée en noir et blanc, son "cinéma filmé" ou l'essentiel était moins de chercher à recréer quelque chose de neuf que de vernir d'une mélancolie nécrophile (la mort du cinéma des années 80) les figures des années 50, de James Dean à Marlon Brando. A droite, Intervention d'Arcade Fire, son beau et gros lyrisme, son ambiance de cathédrale. Emouvant ou ampoulé, selon l'humeur ou l'auditeur.

Au centre, deux clips superbes. Qui oublient l'histoire (pour ça, il faudrait du temps, beaucoup plus) pour se concentrer sur la poésie, tisser des rimes entre images, paroles et sons. Des grandes orgues scandent le rassemblement d'une bande ("You're still a soldier in your mind"), soulèvent des trombes d'eau et chassent les nuages. Un carton "suddenly" déclenche une cavalcade musicale. Win Butler chante "Wanna hear the soldier sing" tandis que les fusils braillent.

Les images riment avec la musique, donc, mais elles riment aussi entre elles et avec la musique. Il suffit de regarder les deux clips en même temps, ou avec un décalage de dix, vingt, trente, soixante secondes. En plus de se créer une installation arty, une cacophonie dérangeante et obsédante, on se rend alors compte que cette caméra, ce stylo, cette voix cherchent à capter la même chose : le regard brillant et inquiet ("I can taste the fear") de ces gens qui se battent presque à regret ("Don't wanna fight, don't wanna die"). Et cette seconde qui s'écoule très lentement, à Tulsa ou sur l'escalier d'Odessa, pendant qu'ils titubent ou piétinent, comme ivres, juste avant de s'écrouler.