09 mai 2006

Les enfants du capitaine Grant


The Go-Betweens - Streets of your town [Live] (MP3)

Samedi après-midi, Fnac de Lille. A la recherche d’un disque pour l’anniversaire de mon frère, je fouille le bac “Go-Betweens”. Je n’y trouve - à un prix prohibitif - que le dernier album en date, Oceans apart, et les disques solo de Grant McLennan, que je n’ai jamais écoutés. J’ai bien le temps… Samedi soir, dans un bar, texto de Vincent : « Triste disparition aujourd'hui... ». Grant McLennan, chanteur-guitariste des Go-Betweens, est mort samedi à Brisbane, à l’âge de 48 ans. Tout est dit. Qu’ajouter de plus (hormis un MP3 rare à votre iPod : un extrait d'un concert à Londres en 2004) sans radoter sur un groupe qu’on a déjà défendu ici et ?

Alors qu’une averse de printemps (just like spring rain…) tambourine au carreau depuis le matin, reste la solution impressionniste. Se raccrocher à des images, des vagues souvenirs, quelques mots. La pochette de Before Hollywood, belle comme un tableau d’Edward Hopper, tout en tons orangés et clairs-obscurs, où McLennan se tenait en chemise à carreaux, comme un éternel étudiant. Le souvenir ébloui et amer d’un concert à Tourcoing, où il se tenait légèrement en retrait sur scène, un peu à gauche de Forster le dandy ténébreux, devant un parterre presque exclusivement trentenaire (hélas). Une réflexion idiote : McLennan, ça sonne comme Macca + Lennon, ce qui a sûrement une signification dans un groupe déjà si faux jumeau. Ma découverte éblouie de ce joyau qu’est Love goes on, dont j’ai longtemps cru qu’il était du métal doré dont on fait les génériques de séries télé. Cette phrase de Spirit à trimballer sur soi comme une bouteille où noyer un chagrin : « Do you have any whisky ?/Don’t like to drink but I like to know that it’s along there with me ». Toutes ces petites traces sans importance que laissaient au quotidien les Go-Betweens comme les amoureux laissent leurs initiales sur le tronc d’un arbre. Les marques d’une discographie sans failles : racines sèches des débuts (Send me a lullaby, Before Hollywood), bourgeonnement pop (de Spring hill fair à 16 lovers lane), maturation des chefs d’œuvre du groupe reformé et bien vieilli.

McLennan, qui semblait du chêne dont on fait les centenaires, est mort dans son sommeil, en artisan du rock. Dans leur imagerie ou leurs textes, les Go-Betweens semblaient fascinés par le western : on l’aurait bien vu y incarner le menuisier de la petite ville, celui qui taille ses chaises (ou ses cercueils…) sans discontinuer en laissant passer les diligences et les locomotives. C’est l’épitaphe qu’il laissera à tous les comptables du rock : il a sculpté, dans le bois de sa guitare, la moitié des chansons de l’un des groupes pop les plus attachants des vingt dernières années. Moi, je le remercierai simplement de m’avoir fait partager sa peinture des sentiments, son artisanat grand public et indépendant à la fois, son amour austral des terres atlantiques et sa raideur new-wave d’un fan des Mamas & Papas, en bon trait d’union, passeur, intermédiaire (go-between) qu’il était.