Le bilan de fin d'année des Inrocks, c'est toujours un grand moment. Dès qu'il est publié, c'est un peu le Café du Commerce dans ta chambre : les mails arrivent de partout pour dénoncer ce scandale, cette saignée, cette trahison aux valeurs historiques du magazine. Cette année, Interprétations Diverses chausse sa mauvaise foi et en dit aussi du mal.
Le classement des 50 meilleurs disques de 2007 des Inrocks vient d'être publié et comme tous les ans, ce vieux magazine vingtenaire en prend plein la tête dans les commentaires (lisez-le, c'est assez marrant). Mais élargissons le débat et essayons de comprendre pourquoi, une fois de plus, ce classement ne rassemble que les déçus.
Les Inrocks publient cette année dans l'édition papier les listes de chaque critique et on peut donc mieux se rendre compte des rapports de force au sein de la rédaction. Nous avons compté les points. Si l'élection du disque de l'année était un vote démocratique et non pas une élection à la russe, voici à quoi aurait ressemblé le top 10 (pardon pour les ex-aequos) :
LCD Soundsystem - Sound of Silver (8 votes)
PJ Harvey - White Chalk (8 votes)
Animal Collective - Strawberry Jam (6 votes)
Panda Bear - Person Pitch (6 votes)
Loney Dear - Loney, Noir (5 votes)
Burial - Untrue (4 votes)
The Coral - Roots & Echoes (4 votes)
Robert Wyatt - Comicopera (4 votes)
Beirut - The Flying Cup Club (4 votes)
Neil Young - Chrome Dreams II (4 votes)
Radiohead - In Rainbows (4 votes)
Alela Diane - The Pirate's Gospel (4 votes)
Gossip - Standing in the way of control (4 votes)
A comparer avec le top 10 réel :
LCD Soundsystem - Sound of Silver
Justice - ✝
Loney Dear - Loney, Noir / Sologne
Animal Collective - Strawberry Jam
Klaxons - Myths of the Near Future
Kanye West - Graduation
PJ Harvey - White Chalk
Patrick Watson - Close to Paradise
Alela Diane - The Pirate's Gospel
M.I.A. - Kala
Pour vous aider dans votre jeu des 7 différences, signalons juste que les albums de Justice et Klaxons n'ont receuilli chacun que... trois votes. Quant à Kanye West, il s'est péniblement attiré deux votes. Remarquons aussi que l'album de Neil Young, pourtant plébiscité par quatre rédacteurs, n'est même pas présent dans la liste des 50 meilleurs disques ! Ou que Panda Bear, indiscutablement un des meilleurs albums de l'année, pointe à la 19e place malgré ses 6 votes.
L'explication de ces différences est à trouver dans la liste proposée par JD Beauvallet, éminence grise de la rubrique rock :
Burial - Untrue
LCD Soundsystem - Sound of Silver
Loney Dear - Loney, Noir / Sologne
PJ Harvey - White Chalk
Justice - ✝
Klaxons - Myths of the Near Future
M.I.A - Kala
Kanye West - Graduation
Patrick Watson - Close to Paradise
Animal Collective - Strawberry Jam
Trop fort le mec : sur sa liste de dix disques, il en place neuf dans le top 10 des Inrocks ! Autant dire que c'est bien JD Beauvallet qui dresse entièrement le classement depuis sa villégiature de Brighton.
Le quota jeunes, le quota rap Alors pourquoi JD impose t-il dans le top 10 les duettistes Justice et Klaxons, ce qui a le don d'énerver les commentateurs du site lesinrocks.com ? En fait, Beauvallet remplace poste pour poste les vieilles idoles de la nouvelle génération rock par celle de la nouvelle génération électro. L'année dernière, les Arctic Monkeys avaient squatté scandaleusement la première place, damant le pion à TV On The Radio. En 2005, Franz Ferdinand s'était retrouvé miraculeusement à la quatrième place malgré un deuxième disque poussif. Le quota jeunes.
Pourquoi JD met-il dans le top 10 le troisième album de Kanye West, boudé par sa rédaction ? On pourrait invoquer un hypothétique quota de rappeurs dans les tops de fin d'année, Les Inrocks craignant de perdre leur ancrage urbain. On citerait notamment la surprenante cinquième place de Keny Arkana l'année dernière - une place que même Trace TV n'aurait pas assumé. La règle des trois tiers Mais plus sûrement, JD reproduit année après année un slogan qu'il a dû lui-même inventer et auquel il doit croire profondément : "rock, électro, rap". Alors que la réalité sociologique de son lectorat est tout autre :
Un tiers de vieux lecteurs historiques qui reprocheront toujours aux Inrocks de s'être écarté de l'orthodoxie pop. Leurs critiques préférés ? Christophe Conte et Stéphane Deschamps. Pourquoi ils crient au scandale ? Neil Young n'est pas dans le top 2007.
Un tiers de lecteurs attachés à une modernité rock à la sauce Pitchfork. Leurs critiques préférés ? Joseph Ghosn et Martin Cazenave (le mec du web). Pourquoi ils crient au scandale ? Of Montreal n'est que 20e dans le top 2007.
Un tiers de lecteurs qui achètent les Inrocks par erreur à cause de la une sur Mika, Arctic Monkeys, Cali ou Gossip. Leur critique préférée ? Johanna Seban (avant qu'elle ne se rallie récemment à la deuxième catégorie), Jean-Marc Lalanne (pour sa défense de Britney Spears). Pourquoi ils crient au scandale ? Yelle n'est que 41e dans le top 2007.
Le triptyque "rock, electro, rap" de JD Beauvallet a peut-être raison pour l'Histoire, pour son lectorat, il aura toujours tort. Le constat fait presque penser à la gauche française. Les Inrocks doivent-ils donc se réformer ?
-> Et encore je ne parle pas de l'hallucinante une du numéro spécial "best of 2007" offerte à... Mika ! Certainement pour le récompenser de sa magnifique 16e place au top albums. Ou peut-être de sa quatrième place au top singles...
2007, année de transition, comme 2006, 2005, 2004… on se croirait au PSG. Ici, un résumé approximatif, très shuffle, de mon année musicale. Des branchés, des génies, des Anglais one shot, une fille qui passe à la radio et toujours pas de R&B.
1. LCD Soundsystem – New-York I love you… Ballade foudroyante cachée dans un grand album électro où on découvre émerveillé, James Murphy chanteur, quelque part entre un Franck Sinatra en tee-shirt et un Lou Reed rouquin. C’est beau un mec qui chante avec son cœur et ses limites, comme ça vient. Voirune vidéo – AcheterSound of silver
2. 1990s – See you at the light Parcours écossais à un trou, où comment trois tacherons sauvent en trois minutes ce qui reste de ma relation avec le rock britannique. Moment de grâce ou coup de bol monumental, Alex Kapranos devrait faire plus attention à ses poches tout de même. Voirle clip- AcheterCookies
3. The Teenagers – Homecoming Une chanson pour des filles en petites culottes American Apparel et des garçons qui leurs courent après, on tient là tout un programme politique. Quand on repensera à Homecoming dans dix ans : on se prendra à aimer 2007, ses filles, ses bars, le flou de l’époque, cet hédonisme bon marché. On aura même oublié les Naast. Voirle clip
4. Los Campesinos – We throw parties, We throw knives De l’indie rock élastique et énergique servi par de jeunes gallois voisins de chambre des Spinto Band. « Un garçon chante comme un puceau en lutte contre ses pollutions nocturnes. Pour le soulager, il y a des filles dans des refrains un peu crétin: du genre on est jeune, on boit du Malibu (libre traduction) » j’avais dû dire à l’époque. Je confirme. Voirle clip- AcheterSticking Fingers into Sockets
5. The Shins – Australia James Mercer donne ici son interprétation des Smiths (sur l’intro il y a un truc je pense). Forcement, le résultat est plus américain, plus rond, la mélodie est garantie de 7 à 77 ans. Australia devrait d'ailleurs être enseigné au carillon ou à la flûte dans toutes bonnes écoles primaires qui se respectent. Voirle clip - AcheterWincing the night away
6. Money Mark – Pick up the pieces Tous les dix ans, le 4ème homme des Beasty Boys offre un petit sommet de détachement, de groove à lunettes tout en clavier bricolé. Mieux qu’une redite du mythique Hands in your head, Pick up the pieces ouvre la voie pour un come-back de Randy Newman en 2008. Voir le clip-AcheterBrand New By Tomorrow
7. Feist - 1234 Ex égérie indie, nouvelle corne d’abondance FM, avec My Moon My Man et ce 1234 fluorescent la Canadienne aura accompagné mes après-midi Nova, rendu l’attente au Franprix supportable, écourté un voyage Paris-Toulouse en véhicule utilitaire. Un tube, c’est aussi un détour agréable pour passer le temps. Voir le clip- AcheterThe Reminder
8. Of Montreal – Grolandic edit Hissing Fauna, Are You the destroyer ? serait l’album de l’année si la discipline figurait encore au programme. Porte d’entrée radiophonique à l’orgie sonore des Américains, Grolandic Edit file un sacré coup de vieux à Beck. Chez Of Montreal tout le monde amène sa bouteille, à la fin on voit des étoiles et on se prend pour Os Mutantes. Buvons à leur santé le 31. Voir le clip- AcheterHissing Fauna, Are You the Destroyer?
9. Elvis Perkins – Without love Une grande chanson folk, qui vous rassure de vieillir. Une grande chanson triste, qui vous rassure de ne pas trop sortir. Une grande chanson boisée qui vous fait préférer l’humain à la machine. Voir le clip – AcheterAsh Wednesday
10. The Wombats – Let’s dance to Joy Division Même pas envie de jeter une oreille sur leur album, The Wombats ont tout dit sur ce single. Jouissif, ironique, régressif, Let’s dance to Joy Division c’est l’arrêt de mort de Bloc Party et des Louis La Brocante ferrailleurs en post-punk. Avec les Wombats, Ian Curtis devient un sujet de blague, le rock anglais s’achète un second degré. Voirle clip – AcheterA guide to love, loss and desesperation
Au milieu des années 80, Margaret Thatcher avait eu cette phrase merveilleuse: "Tout homme qui prend les transports publics après 30 ans devrait se considérer comme un raté". Vingt ans après, les losers font des blogs MP3, comme le temps passe. En ce jour de grève des transports, spéciale dédicace à toi Margaret, si tu nous lis, ainsi qu'à tous nos amis journalistes amateurs de "prises d'otages" et de micro-trottoirs bidons. "Public system - burn down !"
Flight Of The Conchords est une petite série garantie HBO, une série que l’on ne verra peut-être jamais en France, par des voix non téléchargeables en tous cas. Une série de pas grand-chose, douce amère, drôle mais a son rythme comme du Wes Anderson. La preuve ici avec le pilote de la série dans son intégralité.
L’histoire : deux musiciens néo-zélandais débarquent à New York pour conquérir un nouveau public, à savoir les fans déçus d’Adam Green et quelques autres inadaptés. A New York, ils découvrent les quartiers pour branchés fauchés et l’ordinaire des groupes indé. Ils se traînent une fan collante et imbaisable, se partagent entre amours croisés et foireux, glandent beaucoup, collent des affiches pour des concerts dans des cafés sans estrade et se choisissent pour agent un compatriote employé à l’ambassade de Nouvelle-Zélande. Un rouquin sans talent ni relation qui nous rappelle un peu ce bon David Brent.
Heureusement il reste les chansons. Nos deux kiwis tuent le temps avec les ballades lacrymales, pensent à une collègue de boulot en ragga, parodient Bowie, donnent leur idée d’une pop à la française et parfois se prennent pour Justin Timberlake essayant de lever une fille en fin de soirée. Ils écrivent même une des plus belles chansons d’amour du moment, une déclaration toute conne à la guitare avec le meilleur pote au bord d’une fontaine jouant du piano pour enfant (Ifyou're into it). Flight of The Conchords c’est Sufjan Stevens chez les Inconnus comme l’écrivent les Inrocks, soit l’alliance de quatre songwriters majeurs dans mon parcours musical.
Le duo est signé chez Sub Pop où il a sorti un album (”The Distant Future”)
Moi aussi je profite de l’atlantisme ambiant pour rendre hommage à mon Amérique, cette Amérique où je n’ai jamais mis les pieds. Je tiens à rendre hommage à tous ces groupes la vingtaine inconsciente et érudite venus libérer nos plages et nos blogs. L’Amérique du college rock, des outsiders déclarés, celles qui se rêve européenne et se prend d’affection pour notre soccer. Une Amérique des facs bucoliques où l’on causerait des Feelies avec une héritière Wasp végétalienne et acquise aux thèses de la décroissance. Cette Amérique existe, elle lève une armée de groupes attachants, pas bien dangereux, mais gonflés d’idéaux mélodiques. La preuve tout de suite et par trois.
Say Hi (anciennement Say Hi To Your Mum) sort des albums de rock indé avec la conscience et la régularité d’un ouvrier spécialisé ; déjà quatre au compteur depuis 2002. Leurs chansons sont émotives, portent des tee-shirts taille M et écrivent des thèses sur les Walkmen. Say Hi c’est The National grimé en combo power-pop ou un groupe de Emo qui aurait bien tourné. Notherwestern Girls parle des filles de Seattle, ville d’origine du leader du groupe. Le genre de ville où les filles gardent toujours un parapluie à la main et un roman de Douglas Copland dans leur sac. L’extrapolation, il ne reste que ça quand on ne peut pas voyager.
Un quatuor new-yorkais qui décide de commencer avec un premier album en forme de best of définitif, mérite un certain crédit. Pourquoi se faire chier à composer des titres vides et redondants quand on peut aligner une pépite au centimètre carré ? Oui pourquoi ? Vampire Weekenk ressemble donc à quatre jeunes gens en permission d’une université d’été des jeunes madelenistes, tout pulls noués sur les épaules dehors (voir photo). Des blancs becs évoluant à la frontière entre Dexys Midnight Runners et la pop anglaise de tonton, le tout plongé dans un doigt de calypso et vous obtenez les meilleures compositions entendues depuis six mois au bas mot. Vampire Weekend ressemble au Spinto Band perdu dans le rayon World, à du Of Montreal sans alcool, à ce genre de secret qu’on se refile sous le manteau vers quatre heures du matin. Choisir un seul titre parmi les dix à disposition relève alors de l’arbitraire pur et simple.
La scène devait se passer dans un dinner room bruyant, le groupe y avait garé son van fatigué. Le café coulait à flot, les pancakes étaient à points. Un des membres du Black Moth Super Rainbow vend alors à ses camarades l’idée d’un titre pompant l’intro de Stawberry Field couplé avec un vocodeur entendu chez Air. Ils finirent leur repas, firent le plein puis s’attelèrent à cette petite merveille désuète et attachante comme une première Atari le soir de Noël.
J’aime et je défends la cause de Baxter Dury pour des raisons musicales évidentes, mais aussi parce qu’il porte en lui un renoncement à comprendre le monde assez attachant que je partage moi-même à mes nombreuses heures perdues. Fils de, mais fils de punk édenté, Baxter m’a toujours donné cette impression de type désabusé. Un regard détaché et alcoolisé, jeté sur un milieu qu’il semble conchier sincèrement. Rien avoir avec un dépressif de fonction ; l’humanité le fait rire, mais rire jaune. Quand il pompe sans permission Heroes à Bowie avec un naturel désarment pour Sister Sister, il ne s’excuse même pas. Les avocats peuvent toujours venir lui sucer les derniers pounds qui lui restent.
Si Papa Dury braillait à la santé des soirs de biture, Baxter murmure pour les lendemains qui déchantent, les lendemains vitreux réveillés par une gorge en feu, les lendemains qui puent la clope, le regret et les boissons bons marchés quand elles existaient encore.
Chez Rough Trade, ses voisins de catalogue étaient jeunes, désirables, le monde prostré à leurs Converses. Ils s’appelaient les Strokes et les Libertines (qui ne portaient pas de Converses mais bon), de l’histoire déjà. Baxter traîna un temps avec les derniers comme on assiste à un carambolage sur l’autoroute. A distance. Sur Rough Trade, il ne vendît pas la queue d’un album avec Len Parrot’s Memorial Lift et Floor Show, pourtant deux fois neuf merveilles pluvieuses. C’était prévu, immérité, logique, dégueulasse. On avait déjà eu notre dose des songwritters poisseux, des fonctionnaires de la sinistrose en mi mineur, marre de cet artisanat larmoyant. Sauf que Baxter tient plus de l’austère qui se marre. En moins jospinien, on dira qu’il ne prend pas sa propre mélancolie au sérieux. Il y a toujours un sourire qui traîne, une ironie sous-jacente, une rythmique presque enlevée. Mais le spleen reprend toujours ses droits, il déborde sur ses envies de pondre une pop-song un tant soit peu innocente. Au fond, on sent bien qu’il voudrait que ses chansons soient moins bégueules, plus directes dans leurs manières. Francesca’s Partyressemble à la parabole de la plus belle fille du lycée, celle qui préfère se morfondre chez elle que de s’abaisser à fréquenter ses condisciples.
Depuis la sortie de Floor Show, deux années sont passées et Baxter se terre malgré lui. Plus de label semble-t-il, seul un titre inédit sur son MySpace comme signe de vie. Love In The Garden, bulletin d’absence trop joyeux pour être vrai, du rock avec un refrain qui claque et Baxter marmonnant toujours ses paroles amères. Soit la classe incarnée et abandonnée.
Chez Interprétations Diverses, on croit au journalisme citoyen. C'est pourquoi, avec un brin de démagogie, nous ouvrons nos pages à nos lecteurs. Le célèbre Pradoc de la célèbre Blogothèque nous envoie cette analyse au couteau sur Animal Collective que nous publions volontiers.
Pourquoi les journalistes apprécient-ils autant Animal Collective ? Par quel curieux retournement ce groupe très à part, difficile est-il devenu le porte-étendard d’une certaine culture pop ? Ces questions préliminaires ne sont pas des provocations. Loin de moi le désir de rabaisser ce groupe novateur, de vouloir mettre en fuite les auditeurs motivés qui souhaitent tenter l’expérience de Strawberry Jam. Cette introduction est une mise en garde : Animal collective n’est pas très audible pour le public ordinaire, et autant l’avouer, leurs disques provoquent tremblements du pavillon auditifs, acouphènes et pertes de repères. Face à un album d’Animal Collective, l’auditeur est à la fois désireux de comprendre ce qui a lieu et perpetuellement désarçonné. Des amateurs d’expérimentations sonores (des doctorant en Black Dice, et des thésards en Liars) iront même après trois verres, en baissant la voix, de crainte d’être entendus, avouer à regret ne pas arriver à aimer ce groupe bien qu’il soit exactement fait pour eux. Que se passe-t-il donc ? Comment ce groupe provoque-t-il autant d’enthousiasme de principe et si peu de véritables adhésions ? C’est que leur musique est inqualifiable...
Animal Collective est devenu en quelques années chef de file d’un mouvement qui compte peu de membres et s’est installé comme leader incontesté d’un domaine où personne ne lui fait de concurrence : le psyché-rock-noisy (ou le freak-noise, comme il vous plaira). Depuis, le titre qui les fit connaître "Who could win a rabbit", ce groupe a surfé avec bonheur sur ce premier succès qui assura sa réputation de groupe différent, voire de groupe culte. Aujourd’hui, cette formation occupe une place enviable du paysage musical, sa crédibilité indie est au meilleure, et elle a l’honneur d’être tenue comme assez hype pour appartenir au club très fermé des groupes qu’on dit adorer pour épater les voisins, ou pour signifier son appartenance à une sorte d’élite culturelle et musicale. Ne pas connaître animal Collective, c’est par défaut écouter Francis Cabrel. Ainsi soit-il dans le petit monde très hierarchisé des amateurs d’indie-rock. Ce groupe est ainsi devenu au fil du temps un mètre étalon qui permet de constituer des chapelles, de créer des clivages, de séparer le bon grain de l’ivraie, de différencier sans coup férir élégants amateurs pointus et touristes de kiosque à musique.
Car, voilà des musiciens qui écrivent pour eux, ne pensent qu’à se faire plaisir, vivent égoïstement dans leur bulle et se réjouissent d’avoir inventé un cosmos qui est un magnifique refus du compromis, un « non » lancé à la face de l’industrie. De quoi les soutenir et les aimer donc, pour cette démarche. Et de quoi aussi s’assurer grâce à leurs disques des réactions de rejet.
Strawberry Jam est un album éprouvant, on en ressort rincé, les oreilles pendantes, un peu déçu mais étonné et plein d’incompréhension. C’est qu’Animal Collective ne fait rien pour aider. Le disque commence par une longue complainte aboyée pillée au synthétiseur comme un grand saut dans l’eau froide, le contact est rude. Pas d’échauffement, on est de plain-pied dans leur univers, un lieu bizarre que l’on commence pourtant à connaître et qui fonctionne suivant des principes chaotiques mais que l’on peut repérer : mixage des voix, apparition subite de cris et feulements, déstructuration et envol d’ovnis. Ensuite, Strawberry Jam poursuit sur sa lancée, progresse en lignes brisées et se contorsionne. On entend du banjo, du clavier, on entend le chant de la confiture et on est un peu écœuré, mais bon, on reviendra sûrement piocher dans le pot, plus tard.
Ne pas mettre sur pause un disque d’Animal Collective après trois morceaux, c’est très difficile. Vraiment. Ce n’est pas l’envie qui manque. Alors pourquoi continuer ? C’est que sans le savoir en écoutant Animal Collective, on se forme l’oreille. Et si Animal Collective avait pour volonté de nous violer par les oreilles ? Et donc, de nous rendre ensuite sourds aux autres ?
1991, voyons, j’ai neuf ans et je me construis une culture musicale balbutiante à base de compilations vues à la télé - lesquelles ignorent le premier album de The Mabuses. Eté 2007 (s’il a réellement existé) un mail collectif arrive à la rédaction d’Interprétations Diverses, il émane de l’excellent Stéphane Régy. En dehors de réaliser des portraits Nanni Morettien de Pipo Inzaghi pour So Foot, Stéphane Régy guette les nouveaux post de ce blog. Autant dire qu’en ce moment, l’homme est en manque. Un MP3 à l’appui, son mail évoque un groupe oublié du débuts des 90’s, dont le culte serait célébré par une audience au moins aussi large qu’une réunion d’opposants au régime en Corée du Nord.
En 1991, la britpop barbotte encore dans les balloches de son géniteur, Blur n’a pas encore commencé ses journées du patrimoine britannique, Jarvis Cocker se prépare à une existence de paria, des gens défendent Suede en pleine rue. Kim Fahy, seul maître à bord de The Mabuses, sort un premier album éponyme chez Rough Trade. Fahy choisit le nom de son groupe en référence à la trilogie de Fritz Lang, elle-même adaptée des romans de Norber Jacques sur cet inquiétant docteur Mabuse, figure du mal absolu. A l’image de cet acte de naissance, les chansons sorties du cerveau de Fahy sont référencées, tordues justes comme il le faut, souvent géniales. Un peu comme Dan Treacy, Fahy passe son temps à la recherche de la planque de Syd Barrett, celle qui mène à The Madcap Laughs. Il finit même par la trouver avec un GPS emprunté à XTC. Fahy étudie aussi les Beatles à sa façon, iconoclaste, le genre a pisser sur Yeasterday et à se prosterner sur le Walrus.
The Mabuses est une allégorie psychédélique comme on n’ose plus trop en espérer aujourd’hui. Beaucoup d’idées, des tordues des rigolotes, des refrains loufoques à reprendre à tue-tête sans trop comprendre les paroles. Le tout se trouve résumé sur le fantastique Kicking A Pigeon (It was absolutely nothinh like you said / The dog was dead, a bird was shitting on it’s head / Next I was kicking a pigeon). Vous verrez, après vous aussi vous aurez envie d’emprunter la carabine de votre cousin chasseur.
Fahy sortira un second disque sous le nom de The Mabuses en 1994 avant de se faire aussi discret que Jacques Cheminade.
En 1998, j’ai raté In the Aeroplane over the sea par Neutral Milk Hotel. Pour ma défense, j’étais adolescent, anglo-centré et reclus dans un village où internet restait une promesse lointaine. Aurais-je accroché ? Peut-être pas. L’Amérique ne me parlait pas encore, le folk me semblait une langue morte que l'on pratiquait le soir, tard, sur RTL. Wilco ne m’avait pas encore servi de Champollion. Presque dix ans plus tard, le culte de Neutral Milk Hotel vint à moi, en partie pour des mauvaises raisons, comme ce 10 funéraire donné par Pitchfork. Aeroplane est le deuxième (après On Avery Islands en 96) et il y a malhreureusement des chances second album de Jeff Mangum. Avant de former son groupe, Mangum a zoné quelques temps dans les rues de Denver. Denver plaque tournante et foutraque Sur la Route de Kerouac. Mangum fait parti des ces personnes, trop rares, qui pensent que les grands romans doivent vous servir de mode de vie.
De sa musique, Mangum parle de « fuzz folk » soit du folk saturé, parce que branché en courant alternatif sur un rock écorché et trop sérieux pour son âge. Très vite, Aeroplane devient trop compliqué à décrire, pas envie de s’encombrer avec le dictionnaire des synonymes ou tracer une généalogie incertaine. En trois chansons, les trois premières, Mangum ouvre tellement de pistes. Par laquelle commencer ? On pourrait parler de sa voix à la rupture, des son âme torturée et illuminée par orgues, trompettes et accordéons. On pourrait tenter une parabole à la con avec Arcade Fire, accompagnée d' une histoire de file invisible. Certains titres préfigureraient même le balkanisme de Beirut. D’autres sonneraient comme du Animal Collective, avant l’heure et avant fumette. Jeff Mangum est un patriarche qui s’ignore, aujourd’hui il se cache peut-être dans un chapitre de Kerouac, peut-être celui avec des vagabonds mexicains avinés, alors qu’il pourrait tirer les dividendes son culte. Oui, mais ces peccadilles n’existent pas dans les livres trimballés par Jeff Mangum.
Jeff Mangum s’est inspiré de la lecture du "Journal d’Anne Franck" pour son album. N’ayant pas lu cette oeuvre à l’école, j’ai préféré m’abstenir de toute étude comparée.
1982 : Marshall Crenshaw, un premier album éponyme, une pochette vite fait mal dessinée sur le Photoshop de l'époque, mais au moins un titre parfait, There She Goes Again. 1983 : The Sin Of Pride, classieux ultime album des Undertones, se termine sur les mots "so she goes again, and again, and again, and again...", et encore, et encore. 1991 : les La's sortent There She Goes, titre parfait (bis) auquel il ajoutent un "again" sur le refrain - inutile, la main est déjà sur la touche repeat.
Tout Marshall Crenshaw est dans cette suite pas si illogique : filles, mouvement, adolescence, répétition et imitation. Presque célèbre, presque plagiaire, et pas uniquement par anticipation. Après Elvis dans un bas de soie (Elliott Murphy), Elvis dans un bac à sable. Bruce Springsteen sans muscles, Jonathan Richman sans garage pour répéter, dB's sans pointe de vitesse.
Bref, pas un caïd. Pourtant, Marshall Crenshaw n'avait pas son pareil pour composer des mélodies chewing-gum qui collent au cerveau, sans perdre leur goût au fil des écoutes, en incurable et indispensable romantique, comme un Ben Kweller des années 80.
(PS : on n'ira plus lire les commentaires des posts de la Superette avant même de lire leurs posts. En attendant, ce clip de Sleeper - rayonnages et caddies, costumes aux couleurs douteuses, filles et guitares électriques - est un bel hommage au site qui a réussi le plus beau autosabordage des médias français depuis la Cinq).
Les MP3 proposés ici sont mis à la disposition des internautes uniquement pendant une durée limitée et ce, dans une volonté de promouvoir la musique. Nous osons espérer que ces "échantillons" peuvent donner envie d'acheter les disques. Mais si, malgré tout, en tant qu'ayant droit, vous n'acceptez pas notre démarche, envoyez nous un mail et les MP3 concernés seront immédiatement supprimés.