31 octobre 2005

Les "espoirs fusillés" des Kinks


The Kinks - This time tomorrow (MP3)

Des bonnes BO, il y en a beaucoup. Des films où images et son fusionnent parfaitement, associant pour toujours une scène à un morceau composé quelques années avant, c'est déjà plus rare. Il y a Denis Lavant courant comme un dératé sur Modern love de Bowie (Mauvais sang, de Leos Carax). La fuite nocturne des amants sur Wicked game de Chris Isaak (Sailor & Lula de Lynch). Ou le générique de Mean Streets de Scorsese défilant au son du Be my baby des Ronettes.

Depuis la semaine dernière, pour moi, il y a aussi une scène (qui a été reprise intégralement comme bande-annonce) des Amants réguliers de Philippe Garrel. Dans une soirée, une dizaine de jeunes gens, beaux, dilettantes, un peu poètes, dansent. L'un (c'est Louis Garrel, le fils du réalisateur) reste dans son coin, sur un sofa, la mine boudeuse. Ray Davies chante "This time tomorrow/Where will we be ?" ou "I'll leave the sun behind me/And watch the clouds as they sadly pass me by/Seven miles below me I can see the world/ And it ain't so big at all". Nous sommes en 1969, une décennie de combats s'annonce, mais quelque chose est déjà mort, un an avant, sur les barricades.

Le morceau, lui, date de 1970 et de l'album Lola vs. The powerman and the money-go-round. Léger anachronisme, donc, mais osmose parfaite, comme lorsque Wim Wenders utilisait Too much on my mind dans L'Ami américain. Les Kinks ont toujours chanté avec allégresse les amitiés éteintes, le temps qui file et les rêves trahis ; tout ce que le superbe film de Garrel résume en un carton : "Les espoirs fusillés".

29 octobre 2005

Buttons make sound (2)

Suite de notre série sur la musique de jeux vidéos. Après le Japon, Tom, le spécialiste maison traverse le Pacifique à la nage et rejoint les côtes américaines.


Jeremy Soule - Main Theme (MP3) in Morrowind
Peter Mac Connel - Dead Dance (MP3) in Grim Fandango

Il y a d'abord un homme : Jeremy Soule. Si les Américains se cherchaient un nouveau représentant, l'affaire fut entendue en 2002 avec la sortie de Morrowind. Au royaume des envolées wagnériennes, c'est au burin que Morrowind va graver les mémoires et influer considérablement les grands titres américains de ces quatre dernières années.

Les enregistrements philarmoniques sont mis à contribution. Les grands noms du cinéma aussi, comme Danny Elfman sur Fable, associés au déjà rôdé Russel Shaw (Black And White). Le phénomène touche surtout des genres ou l'association n'est pas forcément évidente. Preuve en est le travail de Martin O'Donnell et Michael Salvatori sur Halo et Halo 2, qui évoque plus un titre d'heroic fantasy qu'un jeu de tir sanglant.

Il est plus étonnant de retrouver embarqué dans cette nouvelle vague ceux qui ont fait les beaux jours des jeux « sensitifs » (là où la musique sert de compagnon au joueur usé par des dizaines d'heures de jeu). Dans ce domaine, on ne peut que saluer le décidement génial Jack Wall, doux compositeur des Riven et Myst 3. Le récent Jade Empire, oeuvre profonde et intelligente, y puise à la fois son charisme, son impensable sensibilité et sa violence emphatique. Sublime.

Peut-on acheter un jeu vidéo sur le seul crédit de sa musique ? Oui, quand son compositeur s'appelle Peter McConnell et qu'il est capable d'enchaîner trois BO différentes autour du même sujet (pirates et îles exotiques), de remixer avec succès les vieux thèmes de John Williams sur Indiana Jones Fate of The Atlantis, de débaucher un vieux groupe inconnu de country-rock pour routiers poussièreux le temps d'un boeuf (Full Throttle), de faire dans le jazz mexicano-classieux (Grim Fandango) ou encore de traduire l'ambiance d'un camp de vacances entre enfants anormaux (le tout récent Psychonauts). Un bricoleur certes. Mais un bricoleur dont la science musicale pourrait faire mourir de honte bien des tâcherons hollywoodiens.

Oserais-je prétendre que tous ces gens semblent bien avoir des frères communs dans la musique rock ? De Scott Walker à Brian Eno, en passant par Phil Spector, il s'agissait aussi de bricoleurs fous, après tout.

27 octobre 2005

Les piliers de l'équipe de Nouvelle-Zélande


The Chills - Familiarity breeds contempt (MP3)
The Bats - Take it (MP3)

Périodiquement, un pays non aligné arrive à se glisser dans la guerre froide USA-GB. Ca peut être la Suède (la scène garage), l'Allemagne (le krautrock) ou, on ne rigole pas, la France (la French touch). Au milieu des années 80, on a aussi pu parler, à un moindre niveau, d'une scène néo-zélandaise, autour du label Flying Nun. Une scène caractérisée par une pop carillonnante, parfois proche des Byrds, disponible aujourd'hui sur les difficilement trouvables Submarine bells ou Daddy's highway. Pierre Salviac me murmure dans l'oreillette que Jonah Lomu n'écoutait jamais la musique de ces doux rêveurs avant d'aller charcuter du pilier écossais. Je m'en serais douté.

20 octobre 2005

Pour un Superman de plus



Au départ, la devise d'Interprétations diverses était "MP3, polémique et art de vivre". Ces temps-ci, il faudrait plutôt la remplacer par "Travail, famille, patrie". Pris par nos obligations personnelles et professionnelles d'étudiants (on ne rit pas), nous n'avons plus tellement le temps de bloguer. Pire : nous n'en avons plus - provisoirement - les moyens matériels. Privés d'uploading de MP3, il ne nous reste plus qu'à raconter des petites histoires. Vous avez sûrement entendu parler de la fameuse affaire Superman/Sufjan Stevens : sur la pochette de son album Illinois, ce dernier n'a rien trouvé de mieux que de faire figurer notre ami Clark Kent de pied en cape. Résultat : grosse colère de DC Comics, et suppression du dessin incriminé sur les nouveaux pressages. Bonne nouvelle, les fétichistes peuvent toujours trouver le Illinois/Superman : d'ailleurs je l'ai déniché en occase (ce qui ouvre un autre sujet de débat : comment peut-on se séparer d'une telle merveille ?). Plus que quelques dizaines de milliers d'exemplaires identiques à détruire, et le mien sera réellement collector. Avec l'argent de la revente, je pourrai embaucher une rédaction à temps complet pour faire tourner ce blog.

En attendant, bientôt le retour en forme d'Interprétations diverses, plus long, plus beau et non censuré. Ou pas.

(Pour ceux qui veulent écouter un morceau de Sufjan Stevens, replongez-vous dans ce qu'en écrivait Vincent).

10 octobre 2005

Ouvrons la boîte de Pandore



Un lecteur me conseille d'aller faire un tour sur Pandora, une radio sur Internet. Et, d'entrée, ça ne rigole pas : "created by the music genome project". D'un coup, on imagine des savants fous en blouse blanche, en train de triturer des éprouvettes pour en extraire le chromosome Stooges. Heureusement, l'interface est simple : on vous demande de créer une radio au nom de votre groupe ou de votre chanson préférée, à partir de laquelle, de fil en aiguille, on vous fera découvrir de nouvelles choses. J'essaye mon groupe-culte : Pulp. La sélection qui suit est d'abord d'un goût parfait (Death Cab For Cutie, Slowdive, The Blue Nile) puis surgit le nom de Phil Collins. Aïe. Cela dit, ce genre d'accidents fait partie du charme du site : on ne sait jamais trop ce qui va surgir. Et, en plus, il y en a pour tout le monde. Un camarade aux goûts franchement contestables me demande une radio Guns'n'Roses. Je m'exécute, et me retrouve sur Sweet Child O'Mine. Puis AC-DC. Puis Foreigner. Puis les prometteurs Krokus (cf. photo). Pour ne rien gâcher, le son est très correct, et le désign, bien que minimaliste, affiche les pochettes d'albums (ce qui a son importance pour ceux qui aiment le métal). Reste quand même une bonne nouvelle et une mauvaise : si les 10 premières heures sont gratuites, l'abonnement au site coûte 36 euros par an. Pendant ce temps-là, Interprétations diverses reste gratuit. J'entends des murmures de soulagement.

04 octobre 2005

Elliott Murphy, like a Great Gatsby


Elliott Murphy - Graveyard scrapbook (MP3)
Elliott Murphy - History (MP3)
Elliott Murphy - Diamonds by the yards (MP3)

"Dans Ballad of a thin man, en 65, une sorte d'élégie rythmée par un piano lugubre, Dylan parle d'un "Mr Jones" - un nom d'homme de la rue - qui a lu "tous les livres de F. Scott Fitzgerald". Or voilà comment se présente Elliott Murphy à des yeux qui ne peuvent plus être innocents : c'est un Brian Jones qui aurait lu Fitzgerald. C'est une imagerie , un temps déjà vécu , qui inspirent ces chansons où on relève des noms, voire même des phrases, un style".

Les lignes ci-dessus ne sont pas de moi. D'abord, parce que l'homme qui les écrit a découvert Elliott Murphy en vinyle - et raconte avec un plaisir presque physique le parcours du saphir dévoilant successivement une, deux, trois chansons, le long du cylindre noir. Ensuite, parce que ce portrait fulgurant est de François Gorin, dans Sur le rock (1990). Utiliser les mots d'un autre pour aborder Elliott Murphy, c'est très approprié. Car le New-Yorkais ne s'est s'en doute jamais remis de ne pas avoir écrit Ballad of a thin man ou Heroin, et a donc préféré, plutôt que se faire un nom, rendre hommage à celui des autres. C'est pourquoi ses disques (notamment les superbes Aquashow, Lost Generation ou Night Lights, publiés de 1972 à 1976) constituent un bon Who's who des sixties, où l'on peut retrouver Brian Jones ou Marylin Monroe.

Sa musique, poignante, légèrement décadente, a parfois un air de famille avec le Berlin de Lou Reed. La folie en moins, les regrets en plus. Un parfum de lendemain de fêtes et d'occasions manquées en imprègne les moindres notes. La gloire est passée, et Elliott Murphy n'a plus qu'à tendre à l'auditeur, à sa génération (une génération perdue, donc), le miroir des eaux de l'Hudson. Histoire qu'elle se mire une dernière fois dans la nuit new-yorkaise, à la fois somptueusement attifée et complètement défaite, coincée entre un futur sans grande promesse d'avenir et un passé glorieux mais destructeur. Elliott Murphy, qui chantait Like a Great Gatsby, avait dû méditer avec mélancolie les dernières lignes du roman du Fitzgerald : « Gatsby croyait en la lumière verte, en l'extatique avenir qui d'année en année recule devant nous. Il nous a échappé ! Qu'importe ! Demain nous courrons plus vite, nos bras s'étendront plus loin... Et un beau matin... C’est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé. » Toujours nostalgiques, jamais franchement rétro, les albums d'Elliott Murphy sont anciens, mais n'ont pas pris une ride supplémentaire en trente ans.

01 octobre 2005

De la portée d'un concert minable


The Barmitzvah Brothers - New Orleans (MP3)

Longtemps, les posts enflammés de bloggeurs sortant d'un concert minable et prétendant y avoir découvert un nouveau super groupe m'ont énervé. Pourtant, aujourd'hui, là, ici-même, je vais faire pareil. Mais pourquoi un tel revirement ? Etant provincial, je n'ai que peu l'occasion de découvrir de petits groupes prometteurs venus se prendre des pintes vides dans la gueule. Je nourrissais donc une certaine jalousie contre ces Parisiens trop chanceux pour être honnêtes. Et c'est d'un banal bar de Nancy que je vous présente les Barmitzvah Brothers. Si ça, c'est pas de l'underground...

Les Barmitzvah Brothers sont un groupe canadien. Ce qui est bon signe. La chanteuse s'appelle Jenny Mitchell. Ce qui est bon signe aussi. Ils ont maximum 20 ans et leur batteur n'est pas de la tournée européenne pour cause de rentrée à la fac. C'est déjà un peu moins bon signe. Pourtant, si leur musique est naïve, elle n'en est pas moins hyper-créative. Le parallèle avec Architecture In Helsinki me vient tout de suite à l'esprit : même volonté de tout mélanger (du rock au folk en passant par la polka) et ce même esprit enfantin qui irrigue les chansons. J'essaye donc de leur en parler à la fin du concert. Mais même avec toutes les prononciations possibles, la chanteuse assure ne jamais avoir entendu parler du groupe.

Niveau MP3, New Orleans m'évoque Chicago de Sufjan Stevens, ne serait-ce que pour ce genre de paroles : "I'm moving out with my friends / We don't know where". Quoique New Orleans, en ce moment, soit moins touristique que les Barmitzvah Brothers veulent bien nous le faire croire. En tout cas, un bel extrait de leur nouvel album The Century Of Invention qui n'est pas encore sorti.