23 avril 2007

L’anachronisme est un humanisme


Richard Swift - Dressed For The Letdown (MP3)
Richard Swift - The Song From The National Freedom (MP3)

On ne rend pas assez hommage aux bornes d’écoutes. Je suis reconnaissant à celle de la FNAC des Halles pour la rencontre avec Richard Swift. A l’époque, je postais des chroniques depuis un cybercafé de Vincennes, je menais une existence pas encore connectée, le hasard me guidait encore dans mes achats. Cette fois-ci il faisait bien les choses. Emballé, je me suis attelé à une chronique parsemée d’une phrase de gratte clavier convenue, mais qui situait bien le garçon : « un doux dingue anachronique et invendable ». Swift citait Randy Newman et Harry Nilsson comme références récentes, brandissait un appareil argentique sur la pochette, laissait son époque s’essouffler. Il était frisé en plus.

On se rattache souvent à ces histoires d’outsider, ours misanthrope, condamnés à être les contemporains des Kasabian, livreur de spleen et de mélodies surannées à une clique d’âmes torturées pour pas chère (je m’y incorpore sans honte). Avec son troisième album Dressed Up For The Letdown, Richard Swift relève l’écueil du songwritter solitaire : à savoir la chanson intègre mais fauchée qui finira par devenir chiante avec le temps. Dans l’idiome giscardien on dirait que le garçon relève le défi de l’ambition dans la modestie. L’ambition d’un héros ordinaire capable de trousser une grande chanson à l’aide d’un piano, d’une voix, d’une humanité.

Dans le chanson Dressed Up For The Letdown, une phrase dit “the right songs for the wrong crowd” je ne sais pas où elle veut en venir, mais j’ai envie de la répéter. Elle me capte, comme la musique qui lui tient la main. Un chant drapé dans la brume, des claquettes sur le parquet d’un saloon et le spleen toujours un peu. Richard Swift doit avoir 29 ans, mais je ne sais pas à quelle époque il les a soufflés. Parfois, on croirait entendre un Elliot Smith apaisé, ne cherchant plus le monopole du cœur poignardé.

20 avril 2007

Sous la plage, l'écho


Martha & The Muffins - Echo Beach (MP3)

Dans la pop encore plus qu'ailleurs, le temps évolue en spirales. Derrière leur maquillage outrancier et leurs bips-bips futuristes, les années 80 n'étaient en fait qu'une restauration des années 50. Alors que Reagan se préparait à se téléporter de l'écran noir à la Maison Blanche, les groupes se relookèrent fifties à coups de noms composés : Joan Jett & The Blackhearts, Bruce Joyner & The Unknowns, Echo & The Bunnymen (à ceci près que Echo préférait les circuits imprimés aux cheveux péroxydés). Et Martha & The Muffins, dont le Echo Beach fait partie de toutes les (bonnes) compiles de (bons) singles des années 80, avant qu'elles ne soient soûlées à la caipirinha Nouvelle Vague.

Côté forme, derrière les oripeaux modernistes de l'époque (on jurerait entendre New Order sur les premières secondes), Echo Beach applique les règles ancestrales ("I know it's out of fashion/And a trifle uncool/But I can't help it/I'm a romantic fool") du single éternel : intro accrocheuse, structure classique, solo de sax (le syndrome Walk on the wild side), clip sur le vif.

Côté fond, c'est exactement l'inverse, another lyrics for a different decade : le texte innove, laissant loin derrière les rêves sixties, les cavalcades épiques seventies, l'engagement ou la volonté destructrice du punk. "From nine till five I have to spend my time at work/The job is very boring, I'm an office clerk/The only thing that helps pass the time away/Is knowing I'll be back at Echo Beach some day" : l'aube des années 80 passée au tranchant d'un scalpel mélancolique. La vie ne vaut pas grand chose, on le sait, on ne peut y rien y changer, restent quelques plaisir fugaces, artificiels et dérisoires.

Même époque, même tonalité : Lio balade dans cette existence vide ses Amoureux solitaires ("La vie est si triste, dis-moi que tu m'aimes/Tous les jours sont les mêmes, j'ai besoin de romance/Un peu de beauté plastique pour effacer nos cernes/De plaisir chimique pour nos cerveaux trop ternes") pendant que Visage enjoint ses auditeurs de "devenir gris". On aurait pu appeler ça la pop métro-boulot-disco.

13 avril 2007

Voxtrot : internet killed the radio stars


Voxtrot - Kid Gloves (MP3)
Voxtrot - Firecracker (MP3)

On est des bloggeurs, alors, on va parler de Voxtrot. Voilà une phrase à l'enchaînement très logique. Et voilà un raisonnement qui commence à causer un méchant spleen à Ramesh Srivastava, le chanteur du groupe. Groupe phagocyté par le web, qui se voit contraint à regarder filer son premier album sur le peer-to-peer quatre mois avant sa sortie officielle, Voxtrot commence à avoir le mal du web. Pourtant, et Ramesh Srivastava le reconnaît, sans Internet, Voxtrot en serait encore à essayer d'envoyer des CD par la poste aux webzines locaux d'Austin, Texas. Voxtrot n'est rien en-dehors du web. Sur les MP3 blogs, leur maison et leur prison, ils sont des rois. Terrible paradoxe.

Du coup, je ressens comme un malaise de vous parler de leur album éponyme annoncé pour le 22 mai mais qui fait parti de ma vie depuis au moins deux mois. Mais comment ne pas en parler ? Voxtrot est un disque très réussi qui risque de les propulser à la place de Spinto Band de 2007 : le groupe indie qui séduit ta petite copine et sa petite soeur. Le poisson d'avril d'Indie-Boy Traqueur ne semble même pas en être un, tant ça paraît réaliste.

Cela étant dit, force est de reconnaître que cet album n'est qu'un Nice and nicely done de plus. Un très bon disque pour les mercredis soirs où on se fait chier, mais peut-être pas un grand disque pour dire "regardez, j'avais de la chance, j'avais 20 ans en 2007". En attendant de l'avoir oublié, autant néanmoins profiter de ce Voxtrot survitaminé qui réveille les mélodies endormies de Belle and Sebastian.

Kid Gloves est un vrai tube. Firecracker aussi. Et c'est un peu comme ça sur tout le disque.

(
photo volée ici)

10 avril 2007

Nuevas aventuras en lo-fi


Remate - Farewell (MP3)
Remate - No Land (MP3)

Je ne suis jamais allé aux Asturies mais rien que le nom fait chic : d'ailleurs, l'héritier de la couronne espagnole s'appelle prince (ou princesse - les bonnes vieilles et nobles traditions se perdent, hélàs) des Asturies. Remate vient des Asturies, ne pourrait peut-être pas se présenter à la Cour (du moins pas sans tailler sa barbe), mais fréquente les lignées les plus nobles. Farewell et No Land, sur son deuxième album, Ballads Don't Change Things, le montrent en Dylan ou Neil Young pour dames, faisant ses gammes la voix tremblante et claire. Bill et Odyssey Of Fire (extraits disponibles sur son MySpace de son album suivant, On Junk), le montrent westernisé et décontracté, quelque part au milieu des grandes plaines d'Espagne, version adoucie des terres caillouteuses explorées par Will Oldham sur le premier Palace.

Reste Out Of Our Skin II, autre chanson disponible sur sa page. Bonsaï folk-rock de 1'22'' tout rond, electrisé, au son moins clair, avec plus de souffle et de grain, et dont le refrain évoque les compos les plus bringuebalantes du troisième Velvet ou le vieux Pavement de Wowee Zowee. Bref, après le piano-bar et le lonely folk, Remate vient apparemment de découvrir l'indie rock et sa bonne attitude de branleur prolifique : No Land Recordings, son dernier (double) album compte 25 morceaux avec plein de I et de II dedans, sans doute histoire de ne pas se fatiguer à trouver trop de titres différents...

06 avril 2007

TV news killed the rock stars

"And I remember doing nothing on the night Sinatra died/And the night Jeff Buckley died/And the night Kurt Cobain died/And the night John Lennon died/I remember I stayed home to watch the news with everyone"

Badly Drawn Boy, You Were Right

Les archives vidéo de l'INA sont une mine d'or, y compris musicale : des milliers de reportages archivés, mais surtout tous les journaux télévisés depuis 1976, facilement et rapidement accessibles... Plongée subjective au milieu des 200 entrées du mot "rock", centrée sur l'évènement brusque (la mort de la star), histoire de vérifier quelques lois du genre JT : que faut-il faire pour avoir droit à un traitement de faveur à la télé ?

Être français. Loi de proximité : les disparitions nationales émeuvent plus. Si vous voulez voir un présentateur vraiment affecté par la disparition d'un musicien, il faut chercher du côté de Brel (le JT de 20 h du 9 octobre 1978 n'a sans doute jamais autant mérité son nom de "grand-messe") ou de Brassens. Le seul étranger à mériter l'ouverture du journal ? John Lennon, le 9 décembre 1980. Elvis, lui, n'y aura pas droit, malgré une date bien choisie pour tomber en plein creux d'actu estival. Mais bénéficiera quand même d'un duplex avec Mort Schuman, le moustachu qui faisait neiger sur le Lac Majeur.

Ne pas faire trop de bruit. Punk, grunge, bof : les genres énervés ne font pas recette. Joe Strummer meurt ? Il a seulement le droit d'être appelé "Joey Strummer" en intro d'un sujet situé en fin de journal, un soir de trêve des confiseurs. Kurt Cobain se suicide ? Un sujet rapide en clôture de journal, où Nirvana est présenté comme le successeur commercial de Dire Straits et Michael Jackson (!).

Tomber au bon moment. Marvin Gaye est assassiné le 1er avril 1984 ? Pas de chance : le 2 tombent les dix ans de la mort du président Pompidou. La bourrée auvergnate prime sur la soul et l'auteur de What's Goin' On n'aura droit qu'à quelques images rapides en fin de JT. Encore plus fort : Bob Marley, icône mondiale
tombée en pleine jeunesse, symbole à la fois d'un genre musical et d'un pays, choisit de mourir le 11 mai 1981 - lendemain de l'élection de Mitterrand, veille de la mort d'un militant de l'IRA, avant-veille de l'attentat contre le pape - histoire de diminuer sa couverture médiatique, réduite à une nécro impressionniste en fin de JT.

Une conclusion ? Au vu de toutes ces images, facile : les musiciens (tré)passent, les journalistes/commentateurs (PPDA, Ockrent, Holtz...), eux, restent.

(Ce post mortifère vous a déprimé ? Retrouvez quelques secondes le sourire avec l'hommage des Beach Boys à Georges Pompidou)

04 avril 2007

La procession des branleurs éclairés

Chez Interprétations Diverses, on aime bien les petits jeunes alors on offre des CNE comme ça, pour la beauté du geste. Introducing Alexandre Pedro, éditorialiste fougueux du webzine Foutraque, fan de pop anglaise et de belles autrichiennes. Il signe ici son premier post.


The Procession - Don't hesitate (MP3)
The Procession - Major minor (MP3)

Pour 0,49 euros par mois, je reçois MTV2 dans mon salon. Si j'en avais le courage, je consommerais du rock à longueur de journée en me regardant dépérir à mesure que j’ingurgite du emo à pustules. On a trop stigmatisé l’EPO, et négligé les risques sanitaires de l’emo-rock (emotional noise de son nom barbare). 0,49 euros, c’était limite carotté. Heureusement un vendredi en fond de grille, un clip en super 8, un peu jauni, a capté ma propension à défendre le fauché et l’orphelin.

Dhorasoo ne tenait pas la caméra, ça sentait bon l’Amérique intemporelle, plouc mais rassurante. Don't hesitate de The Procession serait une vidéo promise aux oubliettes de MTV dans un monde pré-YouTube. Plantés devant une berline en fin de vie, trois gusses hors look (barbes non étudiées pour deux d’entre eux) célèbraient le bonheur de zoner dans une banlieue pavillonnaire, de porter des bonnets à motifs en Californie. Là-dessus tournait une beatleserie, ou plutôt une zombisterie à la sauce slacker. Les voix chantaient à l’unisson, le piano en mode Ben Folds Five mineur invitait à arborer un sourire couillon. Le refrain se reprenait comme l’alphabet, puis se sifflotait.

L’histoire des Processions remonte à la rencontre de J. Paul Zawacki and John Schreffler en classe de catéchisme dans le Michigan. Là où je séchais une explication de texte du Nouveau Testament pour un stage intensif de baby-foot, les deux amis préféraient l’œcuménisme indie : le corps du Weezer, le sang du Beatles. Music Magnifique confesse d’ailleurs Blue Album et White album sous la même chapelle. Installé depuis en Californie avec un guitariste anglais pour troisième homme, le groupe tente d’écrire la bande son parfaite pour se rendre au Wal-Mart en Ford Mustang. Et il n'y arrive pas mal.

The National en première Joy Division


Photo : Laurent Orseau.

The National - Mistaken For Strangers (MP3)

Les chouchous de la blogosphère, le retour, chapitre 4 : après The Shins, Clap Your Hands Say Yeah et Arcade Fire, The National. Question collatérale : pourquoi parler d'un groupe dont énormément de sites ont parlé, parlent, vont parler ? D'abord, pour enfoncer le clou : Boxer est un disque superbe (un de plus), d'une classe absolue, d'une palette toute en nuances et en teintes claires-obscures. De toute façon, tant que Berninger et ses potes n'auront pas fait l'ouverture du 20 h, il faudra tanner tout le monde avec ce groupe.

Deuxième raison : utiliser une de mes marottes actuelles pour parler d'une de mes vieilles marottes. On s'est beaucoup moqué (à juste titre) de tous ces groupes anglais qui, passionnés de l'héritage new-wave, pompent allègrement les gimmicks mélodiques de Joy Division sans en toucher l'os. On avait raison : le vrai héritier de Joy Division, c'est The National (Bayon de Libération faisait déjà le rapprochement dès 2003).

Il y a deux ans, le déchirant Abel m'avait mis la puce à l'oreille. Mistaken For Strangers, sur ce nouvel album, va encore plus loin : batterie métronomique, grincements en arrière-plan (rappelons-nous qu'Hannett enregistra les bruits d'un vieil ascenseur pour les intégrer au mix de Unknown Pleasures), chant habité, violence rentrée. The National est bien le nouveau Joy Division : sourd, solitaire, sombre et sec, un cri qui vient de l'intérieur.

Il faut d'autres arguments ? En voilà un, à la fois historique et personnel. Anecdote historique : les noms Warsaw (première appellation du groupe) et Joy Division firent accuser la bande à Ian Curtis de sympathies néo-nazies. Anecdote personnelle : il y a quatre ans, chroniquant Sad songs for dirty lovers dans un fanzine étudiant, je choisis (sur les conseils avisés d'un camarade) d'intituler mon article "La préférence National". Le point commun est tout trouvé : Joy Division et The National sont des vecteurs de points Godwin musicaux.